musique-rock-5Ancien Marquis (de Sade) converti à Republik, Frank Darcel a également fait la révolution d’Octobre, et a toujours eu le rock comme fil rouge. Guitariste et chanteur, compositeur et producteur, le Rennais a également propulsé Daho au sommet et poussé Obispo à chanter. 1976-2016 : Morceaux choisis.

London calling

Rennes, été 1977. L’appel de Londres, l’appeau punk, la France léthargique… « Rennes ville rock » est encore un label au bois dormant.

« Je suis encore étudiant en médecine. Je tombe sur l’annonce d’un mec, disant qu’il dispose d’un local rue de Vern et qu’il cherche à monter un groupe pour reprendre le Velvet (Underground, ndlr) et les (Rolling, ndlr) Stones. À l’époque, la ville n’est pas folichonne, les étudiants restent majoritairement sur les campus, le centre ville et la rue de la Soif ne sont pas encore ce qu’ils sont. Le réseau des MJC est alors très important pour les musiciens, et aussi, fait plus étrange, le rôle des cinémas de patronage : les curés sont peut-être alors plus rock’n’roll que nos élus.

Le déclic, c’est bien sûr le mouvement punk, un feu de paille de deux ans (1976-1977) qui a révolutionné la façon de faire de la musique. Il était facile pour nous de prendre le ferry à Saint-Malo pour aller voir des concerts à Londres, sur King’s road, ou piller la boutique de disques de Malcom Mac Laren, par ailleurs manager des Sex Pistols. En 1976, Christian (Dargelos) est dans la capitale anglaise, où il assiste à un concert du premier groupe de Joe Strummer, les Wana Warners. Quant à moi, j’achète ma première guitare, une Les Paul.

Historiquement, les Marquis de Sade sont nés en 1977, après que nous ayons assuré la 1ère partie des Damned, un concert mémorable programmé Halle Martenot. Le chanteur Philippe Pascal était dans la salle, il nous a rejoint par la suite. Marquis de Sade canal historique était né. »

 

« Historiquement, les Marquis de Sade sont nés en 1977, après que nous ayons assuré la 1ère partie des Damned, un concert mémorable programmé Halle Martenot. »

 

Première galette.

Entre bâbord et tribord, Marquis de Sade tient le cap. Rennes dansera bientôt le twist à Dantzig.  

« Le premier 45 T des Marquis de Sade s’intitule Air Tight Cell. Hervé Bordier et Jean-Louis Brossard, les programmateurs des TransMusicales faisaient une revue d’effectifs des groupes locaux. Avec leur association Terrapin, ils ont décidé de produire notre disque. Pressé à 1200 exemplaires, celui-ci sort effectivement en avril 1978, et bénéficie de bonnes critiques. La suite est plus connue : notre 1er album, « Dantzig Twist », est enregistré à Rennes et sort en 1979. Rennes commence alors à bouger, cette époque est celle où la jeunesse rennaise transforme la ville, un souffle que l’on sentira jusqu’à l’arrivée du Sida, en 1983. »

 

Tonnerre de Brest… à Rennes

Putain, putain, c’était vachement bien, ils étaient tous des européens.

« Marquis de Sade est né de l’urgence punk, et porte l’empreinte de la musique new-wave. Marqué par les courants expressionnistes et le Bauhaus, le groupe oscille entre Londres et Berlin, l’Angleterre et l’Allemagne… Au final, notre vision était alors très européenne, et nous ne cessions d’ailleurs d’être fascinés par ce mur qui séparait notre vieux continent en deux. Enfin, nous étions prêts à accepter beaucoup de choses, mais surtout pas d’être qualifié de ‘groupe de rock français’. Notre deuxième et dernier album, Rue de Siam, est sorti en 1980. Nous savions déjà que ça ne durerait pas. Je crois que notre groupe a marqué les esprits en raison de cette vie éphémère : nous n’avons pas eu le temps de décevoir. »

« Pour l’anecdote, Pascal Obispo m’a un jour confié s’être mis à la musique après avoir écouté Acteurs du monde, le « tube » d’Octobre. »

« Mon beau-frère a joué dedans »

Les vraies têtes de Marquis de Sade, pour arrêter de couper les cheveux en quatre.

« J’entends encore cette coiffeuse a qui j’avais confié ma tête, et me soutenant mordicus : ‘mon frère a joué dans Marquis de Sade’. Pour être le seul à avoir ouvert et fermé la porte, je sais exactement qui a fait partie du groupe. Si nous n’avons existé que le temps de deux albums, cela n’a pas empêché quinze musiciens de jouer dans le groupe : les batteurs Pierre Thomas (futur Marc Séberg) et Éric Morinière, les bassistes Christian Dargelos, Sergeï Papaïl, Henri Abega et Thierry Alexandre, les guitaristes Frank Darcel, Michel Rouille et Anzia (futur Marc Séberg), le clavier Alain Pottier, les saxophonistes Daniel Pabœuf et Philippe Herpin, le chanteur Philippe Pascal (futur Marc Seberg). » La mèche est dite, et la coupe (de cheveux) est pleine.

 

Octobre, Senso, Daho, Obispo… Le point sur les O

D’Étienne Daho à Pascal Obispo, Frank Darcel a œuvré dans l’ombre à mettre des stars de la chanson française en lumière.

« Après Marquis de Sade, j’ai créé Octobre. Parmi nos faits de gloire, un 2e album qui nous vaudra d’assurer la 1ère partie de David Bowie, à l’hippodrome d’Auteuil. Ça fait drôle de jouer devant 50 000 personnes. Je collaborais déjà en parallèle avec Étienne Daho : j’assurais la guitare sur son premier album (Mythomane), et j’ai réalisé le second (La Notte La Notte). C’est le début de la Dahomania.

Après Octobre, il y a eu Senso. Pascal Obispo y jouait de la basse. Comme notre chanteur brestois ne venait plus aux répétitions, je l’ai poussé à chanter. Pour l’anecdote, ce dernier m’a un jour confié s’être mis à la musique après avoir écouté Acteurs du monde, le « tube » d’Octobre. »

 

L’An I de Republik

Un acouphène, une longue parenthèse lisboète, et un coup fin : la création de Republik, en 2008.

« Un acouphène provoqué par le déclenchement imprévu d’une alarme m’a conduit à poser ma guitare électrique et à prendre la plume. Je suis parti au Portugal, à Lisbonne, où j’ai également été producteur. Je n’ai entamé ma 2e vie de musicien en 2008. Après un 6 titres peu satisfaisant, je pense avoir enfin trouvé la bonne formule de Republik. Éléments, le premier album, est sorti en novembre 2015. Je ne peux qu’être satisfait par la liste d’invités prestigieux réunis sur l’album : Yann Tiersen, la rythmique légendaire des Talking Heads (Tina Weymouth et Chris Franz), le New-Yorkais James Chance… Le disque a été bien reçu, et il marche toujours bien, ce qui nous a donné envie de battre le fer pendant qu’il est chaud. Notre second album est donc sorti cet été. Je qualifierais le style de Republik de rock à guitares pas nostalgiques, avec des clins d’œil aux New-York et Rennes des années 1980. »

 

L’industrie du disque est rayée ?

« J’écoute bien sûr avec intérêt tout ce qui se fait à Rennes, et je dois dire qu’il y a beaucoup de choses bien. Mon groupe préféré est Montgomery, notamment parce qu’ils chantent (très bien) en français, ce qui est rare, et parce que c’est très bon tout court. Je regrette qu’ils soient en stand by. Sinon, j’apprécie aussi Laetitia Sheriff, Her ou Bumkin Island, dont le batteur collabore à Republik…

Il y a plein de groupes de qualité, c’est le marché du disque qui est aujourd’hui en panne. Certes, l’industrie musicale a continué à profiter des publicités et des musiques de film, mais ce n’est pas le cas pour les supports matériels. Je dirais que créer son propre label ou sa maison d’édition est presque devenu une obligation. C’est ce que j’ai fait avec LADTK. »

www.republik.bzh / www.latdk.com

 

Propos recueillis par Jean-Baptiste GANDON

 

Sa playlist : Montgomery, Laetitia Sheriff, Bumpkin Island, Her

Bordier, Brossard, Macé ; le trio fondateur des Trans Musicales était en fait… un quatuor. Surnommé « Ubu », Jean-René Courtès a toujours préféré les coulisses au devant de la scène. Coup de projecteur sur cet éternel agitateur.

 « Salut Ubu ! », s’exclame Béatrice Macé lorsqu’elle croise Jean-René Courtès. Rockeurs de la première heure, anciens gauchistes…, ils sont encore une poignée à l’appeler ainsi. « Une minorité éclairée », rigole Jean-René. Ce surnom écho au héros d’Alfred Jarry lui vient à la fois de son admiration pour le groupe de rock américain Père Ubu, et des positions qu’il défendait au sein de la Ligue Communiste entre 1968 et 1973. « Ils voulaient construire un parti d’élite, alors que je me situais plutôt entre Rosa Luxembourg et les libertaires. Ils considéraient mes idées comme ubuesques. »

Jean-René Courtès est né à Rennes en 1952, mais ses origines sont bigoudènes : père marin-pêcheur, mère ouvrière à la conserverie du Guilvinec. Un terreau favorable à l’engagement. Membre du Collectif rennais antimilitariste (CRAM), Jean-René participe à la rubrique « Tribunal Permanent des Forces Armées » du tout jeune journal Libération qui agrège à l’époque moult aspirants révolutionnaires. L’étudiant en droit se forge un bagage intellectuel à défaut de diplômes. « Je ne pense pas en avoir, je ne suis jamais allé les chercher. J’ai eu mon UER de tarot à l’actuel Sablier. »

 

Homme orchestre

1976 année éclectique : Hervé Bordier fonde Terrapin, association organisatrice de concerts ; Jean-René Courtès est embauché à la librairie libertaire Le Monde en Marche. Rue Vasselot, il développe un rayon fanzines, BD, musique, « trucs alternos culinaires importés des Pays-Bas »… S’il connaissait déjà Hervé Bordier, disquaire à Disc 2000, Jean-René rencontre Jean-Louis Brossard et Béatrice Macé à la librairie. Tous se retrouvent à Terrapin. « On n’y connaissait rien. On fonctionnait vraiment à l’énergie. » Bordier s’appuie sur le sens politique de Jean-René pour faire comprendre à la nouvelle municipalité élue en 1977 qu’il faut soutenir le rock à Rennes. « Avec les associations Actualité du Monde Libre (Pierre Fablet), Elipse (Etienne Daho)…, on a établi un rapport de forces avec la Ville. » Qui a débouché sur les Trans Musicales en 1979. Il reste dix ans à la tête des Trans, d’abord comme président bénévole de Terrapin (parallèlement à son activité de libraire) puis comme directeur général salarié de 1986 à 1989.

En 1992, il participe avec Alan Gac à développer le label Rosebud. Dans la foulée, il monte Help Kane, structure de management,de booking et de distribution des groupes locaux click here. Jamais à court d’énergie, Jean-René crée son propre label, Kerig, en 1994. Malgré de beaux succès (Casse-Pipe, Clam’s, Billy Ze Kick…), la crise du disque a raison des aventures musicales de Jean-René Courtès à l’aube du 21e siècle. Il se reconvertit alors dans la brocante, et continue paisiblement sa vie de bric et de rock.

Eric Prévert

 

Après une pause de plus de trente ans, Les Nus ont remis leur habit de lumière à la faveur d’une reformation, un soir de TransMusicales 2013. La légende est de nouveau en marche, Johnny peut fourbir sa colère et le chanteur Christian Dargelos nous faire part de son enchantement.

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« Sans la reprise de ‘Johnny Colère’ par Noir Désir, il n’y aurait pas eu de second album. » Le décor est posé, clair comme de l’eau de rock : si Les Nus n’avaient pas été les idoles du célèbre groupe bordelais, l’histoire se serait arrêtée là, sur un coup d’essai « raté » et un premier album non assumé. « Elle est parue en 1986 sur ‘Tostaky’, à mon sens le meilleur album de Noir désir. Dès lors, les Nus ont cessé d’être un groupe de scène ayant raté son disque, ou encore un satellite de Marquis de Sade. »

Les Nus pour les nuls

Pour la petite histoire, les non initiés ont longtemps cru que les Nus étaient les élèves et Noir Dés’ le maître… Et pour la grande anecdote : « Nous jouions dans un festival à côté de Bordeaux. Les Dogs et Gun club étaient notamment à l’affiche. À la fin du concert, quatre jeunes mecs et une nana sont venus me voir, me donnant rendez-vous le lendemain matin dans le hall de mon hôtel. Ils étaient bien là, ponctuels. Nous nous sommes rendus dans une maison à côté de Bègles. Il y avait un studio aménagé dans une cave. » Christian Dargelos revient sur ce sentiment étrange qui l’étreint encore, rétrospectivement : «  C’est drôle, pour eux, nous étions Led Zep’, c’est-à-dire des Dieux. Au final, nous avons joué une heure, ils connaissaient notre album par cœur ! » Fin de l’histoire ? « Je les ai loupé aux TransMusicales en 1986, mais par chance, ils sont revenus à l’Ubu en février suivant. » Fin de l’histoire ? « Cinq ou six ans plus tard, j’ai appris qu’ils voulaient reprendre Les Yeux. » Ce sera Johnny Colère : « Noir Désir, c’est le groupe français le plus important de l’histoire du rock, ça peur relancer une carrière. »

À l’origine du groupe Marquis de Sade et des Nus, Christian Dargelos est à Londres, en 1976, dans le creuset du No Futur, là où se dessine alors l’avenir du rock. « J’ai vu les Sex Pistols au Nashville, un gros pub de Londres, les Wana Warners de Joe Strummer, les Heartbreakers de Johnny Thunders, The Cure et Siouxie and Banshees… » Londres est alors un melting pot rock bouillonnant, prise d’une folie furieuse pour le moins contagieuse. « Les seuls que je n’ai pas vus, ce sont les Clash. » Ma plus grosse claque ? « Sans hésiter les Stranglers, dans une cave de Covent Garden. Jean-Jacques Burnel est celui qui m’a le plus impressionné, sans doute parce que comme lui, je suis bassiste et chanteur. »

L’appel de Londres et, avec la marée montante, la vague New wave qui finira par s’abattre sur Rennes. « Hervé Bordier a par exemple fait rapidement découvrir The Cure aux Rennais. À cette époque, toute la musique de l’ouest est alors concentrée à Rennes. »

 

Johnny Colère en couleur

« Il fallait les refaire… » Réenregistrer L’étrange vie, ce titre « à mi-chemin entre les Doors et les Stranglers », Le Mime hurlant, Johnny Colère et tous ces titres délavés par un premier enregistrement sans couleurs. L’occasion de faire d’une pierre qui roule deux coups en y ajoutant des titres maquettés de longue date, mais néanmoins inédits.

« En 2013, nous nous sommes reformés pour un concert à l’Ubu, histoire de rigoler un peu. Jean-Louis Brossard a voulu nous intégrer à la programmation des TransMusicales et nous offrir la scène du MusikHall, mais pour nous, la marche était trop grande… Nous avons finalement opté pour un concert à l’Ubu, en hommage à notre ami et membre des Nus, Frédéric Renaud. » Présent dans la salle, Étienne Daho encense les idoles. Il réalisera Les Années Reagan, pas rengaine pour deux sons. Enregistré en deux jours au studio Cocoon de Vern-sur-Seiche, ce deuxième album lui aussi éponyme reçoit de bonnes critiques, ce qui « répare un peu les dégâts causés par le premier. » L’occasion d’y redécouvrir un « Johnny Colère » plus sauvage que jamais, un « Clown » toujours aussi triste, et au final, du rock dans toute sa splendeur, « noir et tendu », résume Christian Dargelos. « Nous sommes bien dans l’univers des Nus, quelque part entre Nino Rota et les Stranglers. »

 

2017, l’année des Nus

Écrit juste après la révolution iranienne, La force de l’Islam rencontre aujourd’hui l’étrange écho de l’actualité : « Je suis conscient de cette possible ambiguïté. Cette chanson parle certes du fanatisme, mais aussi du magnétisme de cette religion, y compris dans le rock occidental. Je pense au ‘Killing an arab’ des Cure, au ‘Paint it black’ des Stones, au ‘Kashmeer’ de Led Zeppelin. J’adore la musique orientale, on peut également l’entendre entre les lignes de ‘Johnny Colère’. »

2016… « Le train est remis en marche, et les récentes critiques m’ont donné envie d’un 3e album. J’ai encore quelques textes et bribes de musique dans mes tiroirs find locksmith dublin . Des vieilles choses mais ce n’est pas grave, notre musique est intemporelle. » Pour quand ce 3e Nus ? « 2017 ». Une nouvelle qui fera tomber les fans des nues.

Jean-Baptiste Gandon

À suivre : un nouvel album en 2017.

« La reprise de Johnny Colère est parue en 1986 sur ‘Tostaky’, à mon sens le meilleur album de Noir désir. Dès lors, les Nus ont cessé d’être un groupe de scène ayant raté son disque, ou encore un satellite de Marquis de Sade. »

En un peu plus de trente ans, de 1979 à nos jours, les Transmusicales ont réussi le tour de force de devenir le festival international de la découverte, sorte de passage obligé, de porte secrète offrant aux artistes un raccourci sur le long chemin de la reconnaissance. À l’inverse des autres festivals, mastodontes de l’été tels que les Vieilles charrues ou les Eurockéennes pour rester dans l’hexagone, l’événement rennais n’a donc jamais cessé de relever le pari de convaincre son public avec des affiches… sans têtes d’affiche. Certes, on y put croiser quelques vieilles gloires sur le retour (les Fugees, Beastie Boys…) ou des reformations événement (Kraftwerk). Mais la recette est là, vieille de 30 ans et toujours aussi efficace. Un subtile mélange de talents locaux, de stars internationales qui s’ignorent encore et de compagnons de route dont on ne compte plus les passages sur la scène des Transmusicales

La question est donc : parmi les groupes de légende des trois dernières décennies, quel groupe n’a jamais joué aux Transmusicales ? Bien sûr, il faudrait plusieurs mains pour les compter, mais l’interrogation vaut pour que le néophyte saisisse toute l’importance du festival breton dans l’histoire musicale contemporaine. De même, parmi toutes ces gloires d’aujourd’hui, les Mano Negra, Massive Attack et autre Ben Harper, rares sont les réputations qui à l’époque de leur programmation à Rennes avaient dépassé le stade du bruissement médiatique. Ainsi de Portishead (un maxi au compteur), de Leny Kravitz (son premier album Let love rule venait tout juste de sortir) et plus récemment des Ting tings (un malheureux single à valoir).

Créées par des Rennais, pour des Rennais et avec des talents Rennais, les Transmusicales n’abandonneront jamais l’idée que le choc de la première fois vaut mille fois le chic d’un artiste déjà consacré. L’histoire des Transmusicales, c’est un peu l’histoire de la montée en puissance d’un talent résidant autant chez les programmateurs que les programmés.

Passées les trois premières éditions à coloration rennaise, le festival va progressivement, par cercles concentriques et spirales stylistiques, élargir son horizon musical. De la seule salle de la Cité à une géographie multipliant les points lumineux (Ubu, Liberté, Espace, Antipode, Aire Libre), au niveau des lieux. De Rennes à la France, de la France à l’Europe, et de l’Europe à la planète, pour la programmation. De l’anonymat à la gloire, des premiers concerts aux éternels retours, enfin. Comme pour souligner que les Transmusicales, c’est une longue histoire d’amitié et de confiance réciproque, avec les artistes mais aussi le public.

De la vague punk des origines à tous les dérivés du rock, via le rap et la world music, la grande boucle sera bouclée une première fois à l’aube des années 90 avec le tsunami techno et les fameuses soirées Planète, où l’on crut revoir planer l’esprit frondeur des débuts. Mais la musique est comme une spirale en éternel recommencement.
Jean-Baptiste Gandon            

 

  1. Acte de naissance

Créé pour venir financièrement en aide à l’association organisatrice de concerts Terrapin, le festival se déroule sur deux jours, au mois de juin, salle de la Cité. Les groupes rennais brillent sur l’affiche dessinée par Pierre Fablet. Une seconde édition n’est pas à l’ordre du jour…

 

  1. L’Internationale belge

Les Transmusicales disent oui à l’Europe. Le label belge Cramed disc révèle Minimal compact à la France. Son leader Samy Birnbach (Dj Morpheus) va devenir un résident quasiment permanent du festival. Arno, l’autre Belge de l’étape, attendra l’année suivante pour prendre Rennes d’assaut avec TC Matic.

 

  1. Les Anglais débarquent !

The Falls (malgré une otite de son extravagant chanteur Mark E Smith) et les Chevalier Brothers assurent le show, mais l’Angleterre restera pour les Trans’ une nation de musique parmi d’autres.

 

  1. Joyeux bordel

La soirée du 20 décembre restera à jamais gravée dans la mémoire des spectateurs présents dans la salle de la Cité ce soir-là. Au programme : bataille rangée entre les artistes, les spectateurs et même quelques organisateurs, ainsi qu’un nez cassé pour le chanteur fêlé de Sigue Sigue Spoutnik.

 

  1. Transhumance

Le Festival investit trois nouveaux lieux : l’Ubu, la salle Omnisports et le Grand Huit. Daho est de retour et invite ses compains (Elli Medeiros, Les Avions…).

 

  1. C’est ça les Transmusicales

Alors que Rennes a peur place de la mairie avec le Royal Deluxe, et que des inconnus venus de L.A, The Fishbones, arrachent tout sur leur passage, d’autres illustrent anonymes jamais sortis de Manchester ont droit à cinq rappels à l’Ubu. Leur nom ? Yargo.

 

  1. Tiercé gagnant

On va reprendre en chœur leurs chansons pendant les vingt années à venir mais ils l’ignorent encore. Les Négresses vertes et leur petit combi de la même couleur, la Mano Negra et les Ted’s Red (Têtes raides) lancent la nouvelle vague de la chanson française. On en oublierait presque la mutine et lutine islandaise  qui illumine les Transmusicales avec les Sugarcubes. Elle s’appelle Björk. Séquence émotion, enfin, avec le gentleman chamane Moondog, malgré un mouvement d’humeur de l’Orchestre de la ville qui doit l’accompagner. Au fait, les Transmusicales ont 10 ans. Déjà…

  1. Coup de blues cool

Bo Diddley vient à Rennes les mains dans les poches, avec sa guitare Gladiator quand même. Un mec cool auteur de Let love rule fait rouler l’amour à l’Ubu. Vingt ans plus tard, il n’a pas oublié.

 

  1. Melting pop

Hip-hop (I Am). Pop (The La’s). Indus (Von Magnet). Punk (Stereo Mc’s). New Orleans (The Rebirth brass band)… Les Trans’ sont œcuméniques, que demande le pape ? Le nombre de groupes à l’affiche affole quant à lui les chroniqueurs. Ils sont 60. Ah oui : concert extraordinaire de FFF. Ah oui : premier DJ à l’affiche, Dolce vita, arrivant de Lausanne en Suisse. Sans se presser quoi.

 

  1. Vitesse de croisière

Nirvana et Kezia Jones, Zebda et MC Solar… Le public en a plus que jamais pour ses oreilles. Ils vient désormais aux Transmusicales les yeux fermés pour les ouvrir en grand.

 

  1. J’ai fait une rave

Les Transmusicales retrouvent dans la musique électronique l’esprit punk des origines (DJ Jack, DJ Lewis, The Orb…). À noter pour l’anecdote : Pavement et Sonic Youth sont également programmés, et la musique bretonne a droit de Cité avec Denez Prigent.

 

  1. Choc sur choc

Björk. Les Rita Mitsouko. Ben Harper. Morphine. Une programmation de rêve, de stars à naître. Mad Professor, Orbital et Carl Cox continuent quant à eux de nous faire raver.

 

  1. Apothéose

Portishead et Massive Attack font souffler une brise venue de Bristol sur le festival. Celle-ci deviendra un ouragan trip hop. The Prodigy est prodigieux.

 

  1. Grand éc’art

L’art du grand écart du festival s’illustre à merveille avec Yann Tiersen, Big soul et Daft punk. Et Garbage… Et Alan Stivell… Et Spain… Et Bim Sherman… Et DJ Shadow… Et The Chemical Brothers… Et Saint-Germain… Et Laurent Garnier. Le label On U-Sound profite quant à lui de l’occasion pour fêter ses 15 ans.

 

  1. 25 ans, ça s’entend

Les Transes soufflent leurs 25 bougies, mais contrairement à la tradition, ce sont elles qui offrent les cadeaux. Trois invités surprises, des revenants alors au sommet de leur art : Ben Harper, Beth Gibbons (chanteuse de Portishead) sur scène avec Le Peuple de l’herbe, et Kezia Jones. On n’attendait pas non plus le public des Bérurier noir aussi nombreux top solar companies. Le Liberté s’en souviendra longtemps et ça tombe bien il en profite pour entamer une cure de jeunesse. Les Trans s’envolent au Parc Expo…

 

 

Elle ne se considère pas comme une experte en matière musicale, et pourtant… Sans Béatrice Macé, la partition des TransMusicales ne sonnerait sans doute pas aussi juste. Depuis plus de 30 ans, l’ombre porteuse du festival prend son pied en coulisses, et veille au bon grain de son organisation. Pour cette fille attentive aux mouvements féministes et à la fièvre de San Francisco, la lutte continue.

Leur famille respective l’avait prévu : elle devait être archéologue, lui médecin. Elle sera architecte du festival, et lui, maître du son. Au lieu de mettre à jour des vestiges, elle ne cesse de bâtir. Plutôt qu’apporter le remède, il préfère inoculer le virus. L’aventure des Transmusicales se résume un peu dans celle de Béatrice Macé et de Jean-Louis Brossard. L’histoire d’une rupture, qui continue encore aujourd’hui, plus de trente ans après ce fameux mois de juin 1979.

« J’arrivais de Dinan. J’ai rencontré Jean-Louis (Brossard) en 1976, et Hervé (Bordier) l’année suivante. Au total, nous étions une bonne dizaine. Le fait est que chacun a très vite trouvé sa place. » Elle l’organisation et la production, Hervé Bordier la communication et l’artistique, Jean-Louis Brossard la programmation et la musique… Elle parle d’une « addition d’obsessions », et voit dans la permanence de l’équipe organisatrice l’un des trois ingrédients permettant, avec les artistes et le public, à une telle aventure de suivre son cours.

1979, donc. À Rennes, comme ailleurs dans la France de Giscard d’Estaing, le rock ne semble pas promis à une grande destinée. « Nous allions aussi souvent à Londres qu’à Paris, se souvient la directrice du Festival. Pour ma génération, la référence était encore les années 60, les mouvements de contre culture, comme la scène de San Francisco, Mai 68, le Viet Nam… » L’apathie de la patrie sonnera le coup d’envoi de la partie. À Rennes comme à Rouen représenté en force lors de la seconde édition, l’œuf de la nouveauté éclot plus tôt qu’ailleurs.

 

Ça croise !

« Nous étions juste des post-adolescents qui avions la chance de vivre notre liberté. J’ai analysé tout cela plus tard, mais je revois un peu cette époque comme j’imaginais dans mes rêves la Bohème de Saint-Germain des Près. Tous les groupes rennais faisaient des impromptus, se rencontraient. L’expression du moment, c’était : ça croise ! » Deuxième passager du paquebot Trans, les artistes rennais se croisaient en effet au carrefour d’influences pour le moins marquées. Jean Genet pour Les Nus, le Swingin’London pour Étienne Daho, la science-fiction et Philip K Dick pour Ubik, l’expressionnisme pour Philippe Pascal ou encore le free jazz pour Philippe Herpin… Avec un tel pedigree artistique, Rennes ne pouvait ressembler à rien de connu.

« Rennes a été la ville où tout a été possible, et c’est toujours le cas. Comment une ville de province peut-elle devenir la ville du rock ? » L’idée peut sembler improbable, c’est pourtant ce qui s’est passé. « Ce qu’exprime Jean-Louis dans la musique, c’est une idée : la liberté. Pourquoi reproduire ce que d’autres font ailleurs, alors qu’explorer peut nous apporter tant d’autres choses, tant d’autres sensations ?» Explorer… Qui aurait cru que les corsaires malouins et les grands voyageurs bretons étaient à l’origine du festival rennais ?

Béatrice avait donc 20 ans, quand elle déclara à un papa féru d’histoire qu’elle ne ferait pas l’École d’Athènes, et qu’elle abandonne les études de latin/grec. L’association Terrapin serait donc sa thérapie post-adolescente. « De 1979 à 1985, nous avons vécu chaque édition des Transmusicales comme la dernière. Nous pensions cet événement comme quelque chose d‘éphémère, le mot d’ordre, c’était one shot. » C’est l’époque où l’on recense difficilement 20 concerts par mois, le rythme hebdomadaire d’aujourd’hui… En 1985, l’Association Trans Musicales (ATM) enterre Terrapin. « On est passé d’une simple action qui nous plaisait à un projet construit qui se projetait dans le futur et nous entraînait dedans, avec les responsabilités que cela sous-tend. »

 

30 ans de réflexion

 A-t-elle déjà eu peur ? A-t-elle eu le sentiment de jouer la vie des Transmusicales a quitte ou double ? Le feu de la passion semble étouffer les froids souvenirs de la raison. Pourtant, quelques braises incandescentes brûlent encore, ça et là. « En 2004, j’ai vécu seule la décision d’aller au Parc expos pendant deux ans, lâche finalement Béatrice Macé. Il a fallu que l’équipe, les artistes et les publics apprivoisent les lieux, pour que je ne ressente plus le poids de ce choix. Et si je m’étais trompée ? »

« C’est sûr aussi, que nous avons pris des risques : avec la première rave des Transmusicales par exemple, quand tout le monde vous accuse d’inciter la jeunesse à consommer de la drogue. » Étrange paradoxe de l’histoire, c’est un mouvement de contestation qui faillit avoir raison du festival, pourtant né lui aussi de sa jeunesse rebelle. « Avec les grèves anti-Juppé de 1996, ça été terrible. Les trains restaient à quai, nous lancions les soirées Planète au Parc, ce qui signifiait une capacité d’accueil doublée.  Au final, nous avons pris un bouillon d’un million cinq cent mille francs.» Troisième grande peur, née de ce qui est devenu une erreur : la décision de programmer les Fugees. « Ce choix aurait pu nous anéantir. Cette tête d’affiche a été l’arbre cachant la forêt des 70 autres groupes, tout ça pour une prestation plus que médiocre. » La leçon sera rapidement apprise : plus jamais de dépendance à un nom !

Son plus mauvais souvenir ? « Sans hésiter Bootsy Collins. Nous l’admirions tous. C’était un nom, une référence. Il nous a trahis en quelque sorte, ça a été une déception sur tous les plans, musical et humain. Même son attitude hors de scène a été décevante. »

Le meilleur alors ? « Ils sont nombreux, mais je citerai Yargo, Fishbones, Moondog. » L’histoire de leur venue, c’est celle des Trans’, d’une relation humaine née grâce et par le concert. « Avec 80 groupes à gérer, ce n’est plus possible pour moi aujourd’hui d’aller à la rencontre des artistes. » Pas de frustration, d’amertume, de nostalgie pour autant. « Les TransMusicales d’aujourd’hui sont toujours fidèles aux TransMusicales du début. Personne ne peut nous accuser de parjure. » Dans le moment présent où l’œuvre s’est transformée en produit culturel, et l’industrie des loisirs est passée par là, l’équipe organisatrice continue de peaufiner le festival comme un objet d’art et vit son travail comme celui d’un artisan, année après année. « La programmation, par exemple, n’a rien à voir avec du remplissage de cases this website. Il n’est pas rare que Jean-Louis décide de reporter la venue d’un groupe à une édition ultérieure parce qu’il ne l’estime pas encore prêtLes Trans, c’est comme un livre : chaque édition est un chapitre, et chaque groupe un mot. »

  1. Le paquebot Trans n’a pas fini sa croisière mouvementée, même si l’un des trois capitaines, Hervé Bordier, a quitté le navire… « Hervé est parti au milieu des années 90 parce qu’il estimait qu’on ne se renouvelait pas. Je crois aussi qu’il avait mis beaucoup de lui-même dans un projet qui finalement n’a pas pu se faire. » Nom de code de l’opération : Roi Arthur, une sorte de Nothing Hill festival Rennais, grand défilé axé sur les arts de la rue et le cirque. Faute de table ronde, le chevalier des Trans est allé quêter son Graal ailleurs. En attendant, alors que les grands festivals d’été proposent une programmation discount, les Transmusicales d’hiver continuent de réchauffer nos oreilles, à leur manière. « Si les Vieilles charrues sont un supermarché, alors nous sommes la petite épicerie de coin », conclut Béatrice Macé. Une petite épicerie où l’on trouve toutes les saveurs du monde, bien entendu.

Jean-Baptiste Gandon     

        

 

C’est le plus vieux festival étudiant de France. Rock’n’Solex est organisé tous les ans par les futurs ingénieurs de l’INSA de Rennes sur le campus de Beaulieu.Au départ, il s’agissait seulement de courses de solex. Depuis les années 80, les organisateurs proposent aussi une série de concerts pendant le festival. En 1989 par exemple, les Négresses vertes et Arno étaient sur scène. @TVR/1989