Il paraît que le jazz a du mal à trouver son public à Rennes « ville rock ». Jazz à l’Ouest démontre le contraire chaque mois de novembre, précédant de quelques semaines le rendez-vous des Trans. Le festival organisé par la MJC Bréquigny tient la rampe depuis 1990 et étend désormais sa programmation dans les salles de concerts de Rennes et de la métropole. Retour sur l’histoire du festival. @TVR/2001

On ne compte plus les chorales à Rennes et dans l’agglomération. Pour les fêtes de fin d’année de 2004, elles sont invitées à se produire à tour de rôle, le plus souvent a cappella, sur la scène installée devant l’hôtel de ville. Une initiative de TV Rennes et du Carré Rennais. Succès garanti auprès des passants qui s’arrêtent pour écouter gospel, chansons populaires ou répertoire choral. @TVR/2004

Reportage dans les coulisses du tournage d’un clip du mythique groupe rennais Billy the Kick : le très engagé « Quelques mots pour calmer les machos » paru dans l’album « Verdure et libido » (Pudding, 2001). Pour mémoire le groupe rentra dans la légende au début des années 1990 à la faveur de tubes aux allures de champignon atomique nommés « Mangez-moi », « OCB », ou « Jean-Much Much » @TVR/

En un peu plus de trente ans, de 1979 à nos jours, les Transmusicales ont réussi le tour de force de devenir le festival international de la découverte, sorte de passage obligé, de porte secrète offrant aux artistes un raccourci sur le long chemin de la reconnaissance. À l’inverse des autres festivals, mastodontes de l’été tels que les Vieilles charrues ou les Eurockéennes pour rester dans l’hexagone, l’événement rennais n’a donc jamais cessé de relever le pari de convaincre son public avec des affiches… sans têtes d’affiche. Certes, on y put croiser quelques vieilles gloires sur le retour (les Fugees, Beastie Boys…) ou des reformations événement (Kraftwerk). Mais la recette est là, vieille de 30 ans et toujours aussi efficace. Un subtile mélange de talents locaux, de stars internationales qui s’ignorent encore et de compagnons de route dont on ne compte plus les passages sur la scène des Transmusicales

La question est donc : parmi les groupes de légende des trois dernières décennies, quel groupe n’a jamais joué aux Transmusicales ? Bien sûr, il faudrait plusieurs mains pour les compter, mais l’interrogation vaut pour que le néophyte saisisse toute l’importance du festival breton dans l’histoire musicale contemporaine. De même, parmi toutes ces gloires d’aujourd’hui, les Mano Negra, Massive Attack et autre Ben Harper, rares sont les réputations qui à l’époque de leur programmation à Rennes avaient dépassé le stade du bruissement médiatique. Ainsi de Portishead (un maxi au compteur), de Leny Kravitz (son premier album Let love rule venait tout juste de sortir) et plus récemment des Ting tings (un malheureux single à valoir).

Créées par des Rennais, pour des Rennais et avec des talents Rennais, les Transmusicales n’abandonneront jamais l’idée que le choc de la première fois vaut mille fois le chic d’un artiste déjà consacré. L’histoire des Transmusicales, c’est un peu l’histoire de la montée en puissance d’un talent résidant autant chez les programmateurs que les programmés.

Passées les trois premières éditions à coloration rennaise, le festival va progressivement, par cercles concentriques et spirales stylistiques, élargir son horizon musical. De la seule salle de la Cité à une géographie multipliant les points lumineux (Ubu, Liberté, Espace, Antipode, Aire Libre), au niveau des lieux. De Rennes à la France, de la France à l’Europe, et de l’Europe à la planète, pour la programmation. De l’anonymat à la gloire, des premiers concerts aux éternels retours, enfin. Comme pour souligner que les Transmusicales, c’est une longue histoire d’amitié et de confiance réciproque, avec les artistes mais aussi le public.

De la vague punk des origines à tous les dérivés du rock, via le rap et la world music, la grande boucle sera bouclée une première fois à l’aube des années 90 avec le tsunami techno et les fameuses soirées Planète, où l’on crut revoir planer l’esprit frondeur des débuts. Mais la musique est comme une spirale en éternel recommencement.
Jean-Baptiste Gandon            

 

  1. Acte de naissance

Créé pour venir financièrement en aide à l’association organisatrice de concerts Terrapin, le festival se déroule sur deux jours, au mois de juin, salle de la Cité. Les groupes rennais brillent sur l’affiche dessinée par Pierre Fablet. Une seconde édition n’est pas à l’ordre du jour…

 

  1. L’Internationale belge

Les Transmusicales disent oui à l’Europe. Le label belge Cramed disc révèle Minimal compact à la France. Son leader Samy Birnbach (Dj Morpheus) va devenir un résident quasiment permanent du festival. Arno, l’autre Belge de l’étape, attendra l’année suivante pour prendre Rennes d’assaut avec TC Matic.

 

  1. Les Anglais débarquent !

The Falls (malgré une otite de son extravagant chanteur Mark E Smith) et les Chevalier Brothers assurent le show, mais l’Angleterre restera pour les Trans’ une nation de musique parmi d’autres.

 

  1. Joyeux bordel

La soirée du 20 décembre restera à jamais gravée dans la mémoire des spectateurs présents dans la salle de la Cité ce soir-là. Au programme : bataille rangée entre les artistes, les spectateurs et même quelques organisateurs, ainsi qu’un nez cassé pour le chanteur fêlé de Sigue Sigue Spoutnik.

 

  1. Transhumance

Le Festival investit trois nouveaux lieux : l’Ubu, la salle Omnisports et le Grand Huit. Daho est de retour et invite ses compains (Elli Medeiros, Les Avions…).

 

  1. C’est ça les Transmusicales

Alors que Rennes a peur place de la mairie avec le Royal Deluxe, et que des inconnus venus de L.A, The Fishbones, arrachent tout sur leur passage, d’autres illustrent anonymes jamais sortis de Manchester ont droit à cinq rappels à l’Ubu. Leur nom ? Yargo.

 

  1. Tiercé gagnant

On va reprendre en chœur leurs chansons pendant les vingt années à venir mais ils l’ignorent encore. Les Négresses vertes et leur petit combi de la même couleur, la Mano Negra et les Ted’s Red (Têtes raides) lancent la nouvelle vague de la chanson française. On en oublierait presque la mutine et lutine islandaise  qui illumine les Transmusicales avec les Sugarcubes. Elle s’appelle Björk. Séquence émotion, enfin, avec le gentleman chamane Moondog, malgré un mouvement d’humeur de l’Orchestre de la ville qui doit l’accompagner. Au fait, les Transmusicales ont 10 ans. Déjà…

  1. Coup de blues cool

Bo Diddley vient à Rennes les mains dans les poches, avec sa guitare Gladiator quand même. Un mec cool auteur de Let love rule fait rouler l’amour à l’Ubu. Vingt ans plus tard, il n’a pas oublié.

 

  1. Melting pop

Hip-hop (I Am). Pop (The La’s). Indus (Von Magnet). Punk (Stereo Mc’s). New Orleans (The Rebirth brass band)… Les Trans’ sont œcuméniques, que demande le pape ? Le nombre de groupes à l’affiche affole quant à lui les chroniqueurs. Ils sont 60. Ah oui : concert extraordinaire de FFF. Ah oui : premier DJ à l’affiche, Dolce vita, arrivant de Lausanne en Suisse. Sans se presser quoi.

 

  1. Vitesse de croisière

Nirvana et Kezia Jones, Zebda et MC Solar… Le public en a plus que jamais pour ses oreilles. Ils vient désormais aux Transmusicales les yeux fermés pour les ouvrir en grand.

 

  1. J’ai fait une rave

Les Transmusicales retrouvent dans la musique électronique l’esprit punk des origines (DJ Jack, DJ Lewis, The Orb…). À noter pour l’anecdote : Pavement et Sonic Youth sont également programmés, et la musique bretonne a droit de Cité avec Denez Prigent.

 

  1. Choc sur choc

Björk. Les Rita Mitsouko. Ben Harper. Morphine. Une programmation de rêve, de stars à naître. Mad Professor, Orbital et Carl Cox continuent quant à eux de nous faire raver.

 

  1. Apothéose

Portishead et Massive Attack font souffler une brise venue de Bristol sur le festival. Celle-ci deviendra un ouragan trip hop. The Prodigy est prodigieux.

 

  1. Grand éc’art

L’art du grand écart du festival s’illustre à merveille avec Yann Tiersen, Big soul et Daft punk. Et Garbage… Et Alan Stivell… Et Spain… Et Bim Sherman… Et DJ Shadow… Et The Chemical Brothers… Et Saint-Germain… Et Laurent Garnier. Le label On U-Sound profite quant à lui de l’occasion pour fêter ses 15 ans.

 

  1. 25 ans, ça s’entend

Les Transes soufflent leurs 25 bougies, mais contrairement à la tradition, ce sont elles qui offrent les cadeaux. Trois invités surprises, des revenants alors au sommet de leur art : Ben Harper, Beth Gibbons (chanteuse de Portishead) sur scène avec Le Peuple de l’herbe, et Kezia Jones. On n’attendait pas non plus le public des Bérurier noir aussi nombreux top solar companies. Le Liberté s’en souviendra longtemps et ça tombe bien il en profite pour entamer une cure de jeunesse. Les Trans s’envolent au Parc Expo…

 

 

Elle ne se considère pas comme une experte en matière musicale, et pourtant… Sans Béatrice Macé, la partition des TransMusicales ne sonnerait sans doute pas aussi juste. Depuis plus de 30 ans, l’ombre porteuse du festival prend son pied en coulisses, et veille au bon grain de son organisation. Pour cette fille attentive aux mouvements féministes et à la fièvre de San Francisco, la lutte continue.

Leur famille respective l’avait prévu : elle devait être archéologue, lui médecin. Elle sera architecte du festival, et lui, maître du son. Au lieu de mettre à jour des vestiges, elle ne cesse de bâtir. Plutôt qu’apporter le remède, il préfère inoculer le virus. L’aventure des Transmusicales se résume un peu dans celle de Béatrice Macé et de Jean-Louis Brossard. L’histoire d’une rupture, qui continue encore aujourd’hui, plus de trente ans après ce fameux mois de juin 1979.

« J’arrivais de Dinan. J’ai rencontré Jean-Louis (Brossard) en 1976, et Hervé (Bordier) l’année suivante. Au total, nous étions une bonne dizaine. Le fait est que chacun a très vite trouvé sa place. » Elle l’organisation et la production, Hervé Bordier la communication et l’artistique, Jean-Louis Brossard la programmation et la musique… Elle parle d’une « addition d’obsessions », et voit dans la permanence de l’équipe organisatrice l’un des trois ingrédients permettant, avec les artistes et le public, à une telle aventure de suivre son cours.

1979, donc. À Rennes, comme ailleurs dans la France de Giscard d’Estaing, le rock ne semble pas promis à une grande destinée. « Nous allions aussi souvent à Londres qu’à Paris, se souvient la directrice du Festival. Pour ma génération, la référence était encore les années 60, les mouvements de contre culture, comme la scène de San Francisco, Mai 68, le Viet Nam… » L’apathie de la patrie sonnera le coup d’envoi de la partie. À Rennes comme à Rouen représenté en force lors de la seconde édition, l’œuf de la nouveauté éclot plus tôt qu’ailleurs.

 

Ça croise !

« Nous étions juste des post-adolescents qui avions la chance de vivre notre liberté. J’ai analysé tout cela plus tard, mais je revois un peu cette époque comme j’imaginais dans mes rêves la Bohème de Saint-Germain des Près. Tous les groupes rennais faisaient des impromptus, se rencontraient. L’expression du moment, c’était : ça croise ! » Deuxième passager du paquebot Trans, les artistes rennais se croisaient en effet au carrefour d’influences pour le moins marquées. Jean Genet pour Les Nus, le Swingin’London pour Étienne Daho, la science-fiction et Philip K Dick pour Ubik, l’expressionnisme pour Philippe Pascal ou encore le free jazz pour Philippe Herpin… Avec un tel pedigree artistique, Rennes ne pouvait ressembler à rien de connu.

« Rennes a été la ville où tout a été possible, et c’est toujours le cas. Comment une ville de province peut-elle devenir la ville du rock ? » L’idée peut sembler improbable, c’est pourtant ce qui s’est passé. « Ce qu’exprime Jean-Louis dans la musique, c’est une idée : la liberté. Pourquoi reproduire ce que d’autres font ailleurs, alors qu’explorer peut nous apporter tant d’autres choses, tant d’autres sensations ?» Explorer… Qui aurait cru que les corsaires malouins et les grands voyageurs bretons étaient à l’origine du festival rennais ?

Béatrice avait donc 20 ans, quand elle déclara à un papa féru d’histoire qu’elle ne ferait pas l’École d’Athènes, et qu’elle abandonne les études de latin/grec. L’association Terrapin serait donc sa thérapie post-adolescente. « De 1979 à 1985, nous avons vécu chaque édition des Transmusicales comme la dernière. Nous pensions cet événement comme quelque chose d‘éphémère, le mot d’ordre, c’était one shot. » C’est l’époque où l’on recense difficilement 20 concerts par mois, le rythme hebdomadaire d’aujourd’hui… En 1985, l’Association Trans Musicales (ATM) enterre Terrapin. « On est passé d’une simple action qui nous plaisait à un projet construit qui se projetait dans le futur et nous entraînait dedans, avec les responsabilités que cela sous-tend. »

 

30 ans de réflexion

 A-t-elle déjà eu peur ? A-t-elle eu le sentiment de jouer la vie des Transmusicales a quitte ou double ? Le feu de la passion semble étouffer les froids souvenirs de la raison. Pourtant, quelques braises incandescentes brûlent encore, ça et là. « En 2004, j’ai vécu seule la décision d’aller au Parc expos pendant deux ans, lâche finalement Béatrice Macé. Il a fallu que l’équipe, les artistes et les publics apprivoisent les lieux, pour que je ne ressente plus le poids de ce choix. Et si je m’étais trompée ? »

« C’est sûr aussi, que nous avons pris des risques : avec la première rave des Transmusicales par exemple, quand tout le monde vous accuse d’inciter la jeunesse à consommer de la drogue. » Étrange paradoxe de l’histoire, c’est un mouvement de contestation qui faillit avoir raison du festival, pourtant né lui aussi de sa jeunesse rebelle. « Avec les grèves anti-Juppé de 1996, ça été terrible. Les trains restaient à quai, nous lancions les soirées Planète au Parc, ce qui signifiait une capacité d’accueil doublée.  Au final, nous avons pris un bouillon d’un million cinq cent mille francs.» Troisième grande peur, née de ce qui est devenu une erreur : la décision de programmer les Fugees. « Ce choix aurait pu nous anéantir. Cette tête d’affiche a été l’arbre cachant la forêt des 70 autres groupes, tout ça pour une prestation plus que médiocre. » La leçon sera rapidement apprise : plus jamais de dépendance à un nom !

Son plus mauvais souvenir ? « Sans hésiter Bootsy Collins. Nous l’admirions tous. C’était un nom, une référence. Il nous a trahis en quelque sorte, ça a été une déception sur tous les plans, musical et humain. Même son attitude hors de scène a été décevante. »

Le meilleur alors ? « Ils sont nombreux, mais je citerai Yargo, Fishbones, Moondog. » L’histoire de leur venue, c’est celle des Trans’, d’une relation humaine née grâce et par le concert. « Avec 80 groupes à gérer, ce n’est plus possible pour moi aujourd’hui d’aller à la rencontre des artistes. » Pas de frustration, d’amertume, de nostalgie pour autant. « Les TransMusicales d’aujourd’hui sont toujours fidèles aux TransMusicales du début. Personne ne peut nous accuser de parjure. » Dans le moment présent où l’œuvre s’est transformée en produit culturel, et l’industrie des loisirs est passée par là, l’équipe organisatrice continue de peaufiner le festival comme un objet d’art et vit son travail comme celui d’un artisan, année après année. « La programmation, par exemple, n’a rien à voir avec du remplissage de cases this website. Il n’est pas rare que Jean-Louis décide de reporter la venue d’un groupe à une édition ultérieure parce qu’il ne l’estime pas encore prêtLes Trans, c’est comme un livre : chaque édition est un chapitre, et chaque groupe un mot. »

  1. Le paquebot Trans n’a pas fini sa croisière mouvementée, même si l’un des trois capitaines, Hervé Bordier, a quitté le navire… « Hervé est parti au milieu des années 90 parce qu’il estimait qu’on ne se renouvelait pas. Je crois aussi qu’il avait mis beaucoup de lui-même dans un projet qui finalement n’a pas pu se faire. » Nom de code de l’opération : Roi Arthur, une sorte de Nothing Hill festival Rennais, grand défilé axé sur les arts de la rue et le cirque. Faute de table ronde, le chevalier des Trans est allé quêter son Graal ailleurs. En attendant, alors que les grands festivals d’été proposent une programmation discount, les Transmusicales d’hiver continuent de réchauffer nos oreilles, à leur manière. « Si les Vieilles charrues sont un supermarché, alors nous sommes la petite épicerie de coin », conclut Béatrice Macé. Une petite épicerie où l’on trouve toutes les saveurs du monde, bien entendu.

Jean-Baptiste Gandon     

        

 

C’est le plus vieux festival étudiant de France. Rock’n’Solex est organisé tous les ans par les futurs ingénieurs de l’INSA de Rennes sur le campus de Beaulieu.Au départ, il s’agissait seulement de courses de solex. Depuis les années 80, les organisateurs proposent aussi une série de concerts pendant le festival. En 1989 par exemple, les Négresses vertes et Arno étaient sur scène. @TVR/1989