Cinq années les séparent, pourtant Léa et Alexis ont bien des points communs : leur origine – Servon-sur-Vilaine – et une passion, la musique, qui transpire de L’Ekcorché et de Flou, leurs associations respectives.

À peine vieille d’un an, l’association L’Ekcorché s’est lancée comme défi de « promouvoir la culture », et en toile de fond, le rock sous toutes ses coutures. Portés par la maison des jeunes de Cesson-Sévigné et de Servon-sur-Vilaine, ce groupe de passionnés a pu organiser évènements et concerts dans, et autour, de l’agglomération Rennaise.

Les assos sortent la boîte à paf

Pour trouver les groupes, rien de plus simple. Des amis musiciens se laissent prendre au jeu et, pierre qui roule amassant la mousse, de nouvelles formations sollicitent l’association pour être programmés. « On met un point d’honneur à ce que les groupes soient payés, et ce malgré nos faibles revenus », pose Léa, vice-présidente de l’Ekcorché. « On fait tourner la boîte à paf (ndlr : cagnotte où les gens peuvent donner pour le groupe), et ça marche pas mal ! »
Les concerts ont souvent lieu dans des bars et le public touché est très divers : « On essaye de viser les plus jeunes, pour leur faire redécouvrir le rock ».

Les Patates Carnivores, concert au bar Le Comptoir à Châteaubourg

La vie associative a fait changer ses plans à Léa, qui pense désormais orienter ses études vers ce nouvel univers, découvert au détour d’une passion très formatrice.

Flou, la tempête électro

La vision d’Alexis, président de Flou, est tout aussi nette : l’univers associatif fait partie intégrante de sa vie. Issus d’horizons universitaires complémentaires (communication, comptabilité, évènementiel, etc), les membres de l’association ont tous un rôle à jouer : « Flou, c’est une complémentarité ». Dans l’association, un mot d’ordre: la franchise. Les membres se disent tout, pour éviter les mauvaises surprises, si bien qu’ils s’en sont fait un surnom : la « Flou Family ».
Au départ c’était juste l’histoire d’amis d’enfance. L’idée leur est venue en trainant à la MJC de Servon-sur-Vilaine : « pourquoi ne pas ramener chez nous les soirées que l’on trouve à Rennes ? » De fil en aiguille, Flou s’est fait un nom chez les programmateurs d’électro rennaise et leurs soirées « Storm » attirent toujours plus de monde.

L’association est là pour promouvoir la « culture musicale électronique », par des prestations auditives, mais aussi visuelles (création de décors, prestation scénique). Enfin, les membres de Flou sont aussi des artistes, à l’image d’Alexis aka Brender, qui mixe de la house et du funk. Mais si elle se produit elle-même, l’association n’oublie pas de mélanger la scène locale avec des artistes renommés, comme par exemple Yan Cook.

Amentia, Storm N°2

« Ce qu’il y a de bien avec Rennes, c’est que les gens sont curieux »

L’Ekcorché et Flou l’affirment à l’unisson : peu importe l’événement créé, et peu importe l’âge, le public sera toujours au rendez-vous. « Rennes a toujours eu cette réputation de ville rock ». Et la relève des programmateurs de saluer cette « ancienne jeunesse » qui continue encore aujourd’hui à bien envoyer sur scène ; mais ils préviennent, un sourire aux lèvres : « la nouvelle se bouge bien ».
Échos de la nouvelle scène musicale rennaise, les deux associations renvoient également au boum associatif de leur petit bourg, à l’image de G2C, organisatrice du Emgav festival.

Emgav festival, par l’association G2C

L’Ekcorché et Flou restent très récents, mais espèrent déjà inspirer les générations futures. « Voir des associations se développer sur Servon-sur-Vilaine, c’est envoyer un message : c’est possible, tout le monde peut le faire. »
Grâce à ses évènements, ces jeunes gens très modernes ont amené Servon-sur-Vilaine à Rennes. Prochain objectif ? Ramener Rennes à Servon-sur-Vilaine !

Quentin Aubrée

Pour suivre les deux associations :

Ekcorché ; prochain évenement le 16 juin ici sur facebook

Flou ; prochain événement le 21 juin pour la fête de la musique ici sur facebook

L’histoire du musicien originaire d’Amiens avec le TNB promet de s’écrire au-delà des classiques partitions. Faux dilettante et touche-à-tout, sieur Albin est familier des performances et réalise aussi des films fantômes.

« Chuis un peu intimidé. En gros, j’vais parler d’moi. A l’heure actuelle, je suis auteur, compositeur, interprète. Chanteur quoi ! » Pantalon vert batracien, cheveux en bataille et yeux pétillants, Albin l’Eleu de la Simone n’a pas son pareil pour mettre son auditoire dans la poche, en l’occurrence l’équipe du TNB. « J’allais pas prendre un pseudo alors que mon nom ressemble à un pseudo. » La veille, il s’est produit à Mythos où il a joué « L’Un de nous » son nouvel album tout juste paru (le cinquième depuis 2003).

Déjà deux décennies d’activité pour l’artiste de 46 ans qui est aussi compositeur, arrangeur, accompagnateur pour des dizaines d’autres : Vanessa Paradis, Dick Annegarn, Jeanne Cherhal, Miossec, Jean-Louis Murat, Vincent Delerm, Jean-Louis Aubert, Alain Souchon, Raphael, Brigitte, Keren Ann, Salif Keita, Angélique Kidjo, Shaka Ponk, Iggy Pop… « J’ai essayé de rester moi-même avec des projets qui me ressemblent … ou pas. »

En roues libres

« Mon père était musicien amateur, clarinettiste de jazz New-Orleans. Moi je voulais être musicien de jazz contemporain. » Objecteur de conscience au Label Bleu d’Amiens, il retranscrit les partitions d’Henri Texier, Michel Portal. Le pianiste de formation s’est « vraiment imaginé jazzman ». Mais bientôt, il éprouve un « besoin de liberté », les textes lui manquent. Il rencontre Katerine, M, Mathieu Boogaerts, Arthur H… et à 30 ans il écrit sa première chanson. « Mais je suis laborieux dans l’écriture. Je ne sors que les chansons que j’ai réussi à finir. Et je m’intéresse à d’autres disciplines moins codées, la chanson étant régie par une industrie qui vend des objets, même si ça ne m’a jamais conditionné dans mon travail. »

S’il confie qu ‘il se produira au TNB en duo avec Keren Ann lors du festival Mettre en Scène en novembre, ce sont aussi d’autres projets (incertains) qui l’amènent ici. « A Orléans, Arthur [Nauzyciel] m’avait invité pour des lectures d’Allen Ginsberg. Il voyait en moi une bizarrerie qui me reliait à lui. C’est vrai que j’adore parler de jambes coupées, de drogues dures… A chaque concert, je reprends une chanson étrange. Sans lien apparent avec mon répertoire, ça fait pourtant partie de ma culture. »

Arthur Nauzyciel, directeur du TNB

Pas étonnant qu’Albin de la Simone ait inventé les Films Fantômes. « Entre exposition, concert et spectacle, on raconte aux spectateurs une dizaine de films que j’ai inventés. Ma filmothèque idéale, en quelque sorte : de l’auteur français au blockbuster américain en passant par La Chèvre. Par l’oreille, on se fait des images. Les élèves de l’école d’arts plastiques où j’ai étudié à Tournai (Belgique) ont d’ailleurs imaginé des œuvres à partir de ces films. » Albin apprécie les grands écarts où pointent les passerelles. « Secouer, bousculer. Aller où l’on n’est pas habitué à aller. Initier des projets ou en attraper d’autres qui sont en recherche de développement. Car on a du mal à décloisonner. »

Eric Prévert

Artiste associée au nouveau TNB d’Arthur Nauzyciel, Keren Ann va allumer des feux follets folk et éclairer l’équipement rennais sous un jour nouveau pendant trois ans. Rencontre avec une grande dame amoureuse de la vie, même si cette dernière est pleine de virages mélancoliques.

Si Keren Ann était architecte ou urbaniste, sa première décision serait sans doute de détruire la Tour de Babel, ce monument biblique qui divisa les hommes pour les punir et installa l’incompréhension sur Terre. Une chose impensable pour l’auteure, compositrice et chanteuse née dans un melting pot aussi profond que son âme mélancolique. C’est dans ce creuset qu’elle a toujours, dit-elle, récolté l’argile de ses créations. L’auteur de « La Disparition » ne tarde d’ailleurs pas à revenir aux origines, comme si celles-ci éclairaient son parcours, à la lueur fragile d’une chandelle.

Les souvenirs remontent doucement, la silencieuse Keren Ann s’anime. La silhouette est plutôt fluette, mais la voix, même si posée, force le respect. Toute de noir vêtue, la quadragénaire évoque « sa mère néerlandaise au sang javanais » ; « son père d’origine juive polonaise » ; sa propre vie de « Française née à Césarée », en Israël, un jour de 1974. « La famille de ma mère était profondément catholique. Celle de mon père était juive, et a été déportée. » La flamme de la bougie vacille : « Pendant la guerre, mes grands parents maternels ont hébergé une famille juive. Les membres de cette dernière ont été tués devant ma mère, qui s’est toujours sentie redevable envers la communauté israélite. » Tout un symbole, c’est à Paris, la capitale du monde, que ses parents se rencontreront. « Ma mère y a vu un signe… »

Leonard Cohen, Sylvia Plath et la Shoah

Ce signe guide-t-il encore les songes et le songwriting de Keren Ann ? « La musique folk est le son de la mélancolie », pose-t-elle comme une réponse. Entre deux concerts donnés à Mythos, elle a pris le temps de venir rencontrer l’équipe du TNB, qu’elle fréquentera trois ans durant. « Je suis actuellement en studio pour l’enregistrement d’une musique de film », pose-t-elle, avant d’expédier la partie la mieux connue de son CV : « Je suis auteure, compositrice, chanteuse. J’ai déjà réalisé 7 albums solos, plus quelques autres pour des artistes. Des musiques de film, de pièces de théâtre, aussi, ainsi qu’un opéra pour Arthur Nauzyciel, le directeur du TNB qui m’accueille. » Ses muses musicales ne sont pas très difficiles à trouver, elles coulent de source folk : « Joni Mitchell et Patti Smith, Leonard Cohen et Bruce Springsteen, Lee Hazlewood et Bob Dylan… » Mais ce serait trop simple, et le cœur de Keren Ann bat aussi au rythme du jazz poétique de Chet Baker et de Billie Holiday. Ou de la prose « beat generation » d’Allen Ginsberg, une passion partagée avec Arthur Nauzyciel concernant l’auteur de « Kaddish and other poems. »

En solo, à six, ou accompagnée par un orchestre philharmonique, la chanteuse folk n’hésite pas non plus à briser les formats pour échapper à la routine, à l’image de « son dernier concert donné à l’Olympia avec un ensemble à cordes. » C’est que, seule sur scène ou noyée dans une foule musicienne, Keren Ann envisage toujours l’unisson, à l’horizon du monde.

Keren Ann ft. Raasha en concert à l’Olympia, 2016

« Tout est lié »

« Tout est lié », éclaire-t-elle : par exemple, la poésie romantique de Sylvia Plath ou d’Emily Dickinson, et la mélancolie folk. « Bob Dylan reste le plus grand, affirme-t-elle. C’est lui qui m’a appris à marcher et à aimer. Tout ce qui m’est arrivé dans ma carrière de musicienne, c’est grâce à lui. » Y compris l’invitation lancée par Arthur Nauzyciel de venir habiter le TNB ? « Sa proposition m’a fait sauter au plafond, s’enthousiasme-t-elle. Le voir créer et diriger m’a inspiré sur tellement de choses. »

Arthur Nauzyciel, directeur du TNB

Est-ce une ombre ou est-ce un ange ? Une lueur passe dans les yeux de Keren Ann. La musicienne revient à son histoire personnelle, où s’est construit son intérêt pour le « communautaire » et le « minoritaire », avant d’évoquer papa et « son goût immodéré pour les crooners », et maman, « fan de Françoise Hardy et Henry Salvador. » Est-ce-un autre signe ? Keren Ann a collaboré avec ce dernier.

« J’ai eu ma première guitare a 9 ans, aujourd’hui j’en possède 22 », sourit-elle avant de nous parler d’une autre passion, pour la bossa nova cette fois. « Gilberto Gil ou Gaetano Veloso font partie d’une autre diaspora. J’ai l’impression d’avoir compris leurs intentions sans même connaître leur langue. J’aime la mélancolie légère de ces raconteurs d’amour. » Raconter l’amour… « Au début, je voulais simplement écrire des chansons. Je ne savais pas que j’étais chanteuse et j’ai d’ailleurs mis longtemps à comprendre ma voix. Pour ma part, j’apprécie surtout celles qui racontent, ou qui crient. » Nouvelle résidente du TNB, elle ne devrait pas mettre trop de temps à trouver sa voie et à mettre du liant dans l’écrin rennais du théâtre et de la danse.

Jean-Baptiste Gandon  

 

 

CHANSONS DÉNUDÉES ET OPÉRA GOTHIQUE

La « liste des projets » pensée par Keren Ann pour le TNB n’est pas encore établie, mais quelques pistes existent, ainsi que de furieuses envies. Morceaux choisis :

Solo folk: « J’ai rarement tourné en solo, avec ma guitare. Ce concert de ‘chansons dénudées’ permettra au public de mieux appréhender mon univers. »

En voiture avec De la Simone : « Albin est un collaborateur de longue date. Nous voudrions faire quelque chose dans un lieu peut-être moins attendu qu’une scène. Pourquoi pas dans le hall du TNB ? »

Red Waters : « Red waters » (2003) correspond au premier plongeon de Keren Ann dans le monde de l’opéra. En collaboration avec Bardi Johannsson, du groupe islandais Bang Gang, et sous le nom de Lady & Bird, elle a co-signé le livret et la musique de cet opéra gothique mis en scène par Arthur Nauzyciel. « J’aimerais si possible le monter avec des artistes locaux, afin de le faire vivre le plus longtemps possible. »

Hip-hop optimiste : « J’ai envie de mettre en place un projet autour du rap avec un groupe d’adolescents. » Au menu, de probables collaborations avec Raashan Ahmad, rappeur américain passé maître dans l’art de mettre de la couleur le noir, et Kate Tempest, la slameuse européenne. « Le rap peut être à la fois engagé et tendre, fort et éducatif. J’espère que nous réussirons à mélanger folk et hip-hop, slam et guitare acoustique. »

France – Israël : « ma culture est partagée, elle est à la fois francophile et forgée dans l’histoire de la Shoah », explique Keren Ann. Dans le cadre de l’année croisée entre France et Israël, en 2018, elle pense notamment inviter Schlomi Shaban, songwritter israélien, et Dory Manor, traducteur en Hébreu des poèmes de Baudelaire et de Verlaine.

Keren Ann… de Bretagne. À venir, une collaboration avec l’Orchestre Symphonique de Bretagne.

Énigmatiques icônes. « J’aimerais finir sur une création liée à une histoire mystérieuse et passionnante : celle d’Ecclesia et Synagoga. Ces deux femmes sont notamment représentées par des statues dans la cathédrale de Strasbourg. L’une porte une couronne, l’autre a les yeux bandés…» Entre les deux, un troisième personnage mécanique serait mu par un drone. « Est-ce l’homme qui leur a brisé le cœur ? Est-ce Dieu ? Ce troisième homme porte en lui quelque chose de robotique et d’inhumain. » Un drôle de Deus ex machina en perspective.

Apôtres d’une pop volontiers épique, les six membres de Bumpkin Island cultivent un jardin secret où poussent des fleurs venues de tous les horizons musicaux. Ce groupe aux allures de collectif quittera bientôt « l’île aux ploucs » pour présenter son 2ème album « All Was Bright » au reste du monde.

Quand Bumpkin Island a enregistré les dix morceaux de « Ten Thousand Nights », en 2011, ces derniers n’étaient pas sensés descendre du grenier pour aller défendre leurs droits sur la scène des salles de concerts. Guitariste du groupe, Vincent confirme : « ces compositions ont été écrites pour le studio, du coup, nous ne nous sommes imposés aucune limite« , pose-t-il, le sourire en coin.

A l’origine longue de 35 minutes, « Ten Thousang Nights« , l’ultime chanson de l’album éponyme, empile donc les nappes sonores comme autant de couches d’ambiance. mixé par l’ingénieur du son de Sigur Ros, l’une des muses du groupe, le résultat final est tout simplement impressionnant, et l’on se dit que Bumpkin Island a largement gagné sa place dans notre discothèque, quelque part entre Arcade Fire et Radiohead.

Un temps sensible aux sirènes de la renommée, le groupe a rapidement cessé de compter les « likes » sur les réseaux sociaux et les étoiles dans les magazines spécialisés. « Nous avons porté beaucoup trop d’attention au mode d’emploi, pour que ça marche absolument. Nous ne pensons plus du tout à ça. Si notre musique doit arriver aux oreilles du plus grand nombre, ce sera uniquement par sa qualité« . La voilure de Bumpkin Island a été réduite de 9 à 6 membres, mais le groupe a continué de faire ses devoirs : deux e.p intitulés « Homeworks » sont sortis, « un peu plus électroniques que Ten Thousand Nights, et fruits d’un travail de composition collective. » Ces « devoirs faits à la maison » sont naturellement à l’image des horizons multiples des six Robinson : jazz, pop, rock, folk.. Une chose est sûre, le son est bien appris. Bien sûr, les membres de Bumpkin Island ont des goûts en commun : Sufjan Stevens, The National, PJ Harvey, mais sont trop fureteurs pour se contenter de cet héritage. Vincent à la guitare modeste, soulignant au passage l’aide précieuse des Disque Normal et de Patchrock, qui « leur enlèvent un poids« . Au fait, pourquoi Bumpkin Island ? « Cela vient d’un caillou au large de Boston, cela signifie l’île aux ploucs. » Si tous les ploucs pouvaient être comme ça..

Retrouvez Bumpkin Island sur leur facebook, mais aussi sur Bumpkinisland.bandcamp.com et Bumpkin-island.fr

Rennes se prépare à accueillir l’opéra Carmen, qui sera retransmis sur grands écrans le 8 juin. En avant-première, 1200 enfants ont bénéficié de concerts scolaires. Pour s’initier à l’opéra et avoir envie d’y revenir.

« Carmen, elle est très belle !  » : ils sont plusieurs élèves de l’école de Montgermont à en convenir, ce vendredi après-midi de mars. Les élèves de CE2 viennent d’assister à un concert spécial, reprenant les grands airs du célèbre opéra de Bizet.  Six solistes, dont la belle Carmen, se sont prêtés au jeu, sans fioriture, ni décor. Mais accompagnés par l’Orchestre symphonique de Bretagne.

1h 15 de concert, comme une histoire racontée. Après une entrée en matière très rapide qui amène les enfants au coeur de l’Andalousie, Julie Robard-Gendre arrive sur scène. Tout de noir vêtue, majestueuse, la chanteuse mezzo-soprano entame « l’amour est enfant de bohème ». Les 450 bambins, âgés de 7 à 10 ans sont tout à son écoute.

A deux reprises, les enfants sont invités à chanter : la « garde montante » et « toréador », chansons qu’ils avaient apprises en classe avant le grand jour. Des moments forts pour ces mélomanes en herbe, et certainement très formateurs. Pour démocratiser l’opéra, « nous misons entre autre sur les enfants  » explique Marion Etienne, responsable de l’action culturelle, « car on sait qu’il sera plus facile pour les adultes de demain de venir à l’opéra s’ils y sont venus étant enfant ».

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Le présentateur profite de chaque pause pour expliquer les différentes sonorités de voix. « Là, on va entendre un baryton, il va se battre au couteau avec Don José ». Vives réactions dans la salle !

Dire que le public est très attentif pendant toute la durée du concert serait un peu exagéré. À certains moments, les jambes gigotent, ou les regards se portent vers le somptueux plafond de l’Opéra. Mais au fur et à mesure que la tragédie se fait sentir, les têtes se tournent à nouveau exclusivement vers la scène. Les petites guibolles se calment, les yeux (et les oreilles) restent grands ouverts…jusqu’à la scène finale.

Exceptionnellement Julie Robard-Gendre descend dans le public pour quelques photos. La cantatrice est ravie de ces concerts avec les jeunes  : « C’est très agréable de chanter devant un public scolaire, car les enfants ont une écoute très franche. Ils sont hyper attentifs et présents ».

En attendant Carmen

Carmen sera joué à l’opéra de Rennes le 30 mai, le 1er, 3, 6 et 8 juin ( avec retransmissions).
Pour en savoir plus, répéter les chants, ou acheter des billets, rendez-vous sur le site de l’opéra de Rennes

Nul n’est prophète en son pays et il faut venir à Rennes pour rencontrer le spécialiste des musiques traditionnelles mongoles. Ne cherchez pas sa yourte, posée quelque part au milieu de la Prévalaye, Johanni Curtet habite dans un appartement, et c’est un peu par accident que le Manceau s’est retrouvé au beau milieu des steppes de l’Altaï.

Racontée par le principal intéressé, l’histoire est même drôle : « J’ai d’abord voulu faire du rock, comme guitariste et comme chanteur, mais mes amis m’ont supplié de lâcher le micro. Je me suis alors transformé en human beat box, mais cela agaçait ma mère. »
Jamais deux sans trois ! « Et puis, je suis tombé par hasard sur une démonstration de chant diphonique à la TV. J’ai été fasciné par Tran Quang Hai, qui réussissait à faire deux notes en même temps avec sa bouche. J’ai voulu l’imiter. »
Johanni Curtet entame des études de musicologie à Rennes 2, et inaugure à partir de 2004, une longue série d’allers-retours entre Rennes et Oulan Bator. « Là-bas, j’ai travaillé avec des maitres du chant diphonique, mais au-delà, je voulais apprendre leur langue, leur culture. »
Également membre du groupe Meïkhâneh, le diphoneur soutient sa thèse consacrée au chant traditionnel khöömi en 2013, puis passe à l’enseignement.
« J’interviens depuis 8 ans à l’Université Rennes 2 ou à la Cité de la musique. J’avoue que je suis de plus en plus sollicité : par les associations françaises ou les festivals, pour donner des cours ou des conférences, ça n’arrête pas ! »

Nomindari Shagdarsüren, alter ego de Johanni Curtet © Tran Quang Hai

Le khöömi : un chant hors du commun

Rencontrée en 2009, son alter ego mongole se nomme Nomindari Shagdarsüren.
« Quand j’ai rencontré Johanni, je travaillais pour l’UNESCO au recensement du patrimoine culturel immatériel de mon pays, se souvient elle. Le khöömi, c’est un peu l’équivalent du fest-noz en Bretagne. »
Ensemble, au sein de l’association Routes nomades, il ont tracé leur sillon et collecté ce patrimoine menacé de tomber dans l’oubli. « Le chant diphonique est très varié d’une région à l’autre de la Mongolie, mais aussi d’une personne à l’autre. Or, nous nous sommes aperçu qu’il n’y avait eu aucun travail de documentation sur le sujet, expliquant sa complexité et sa richesse. »
Parue sur le label Buda musique, leur Anthologie est une première mondiale. Composée de 43 titres, celle-ci « n’a rien d’un best-of ou d’une compilation. Je parlerais plutôt d’un atlas regroupant des professionnels et des amateurs, des femmes et des jeunes, des célébrités et des anonymes, des bergers et des mineurs… »
Voyage au cœur de la Mongolie millénaire, ce double album est enfin voulu comme « un objet tout public, enrichi par un livret étoffé et des vidéos en ligne. »
« En 10 ans, j’ai rencontré environ 400 musiciens. Certains d’entre eux ne savaient pas qu’ils avaient été publiés sur un disque. Derrière cela, il y a les idées de diffusion et de transmission »,
conclut Johanni Curtet.

Tournée Anthologie du khöömi Mongol, Festival Harmonie des Steppes, Arvillard, 2016 © Routes Nomades
Entre 500 et 800 Mongols habiteraient à Rennes, soit 20 % de la communauté française estimée à 4000 personnes. On se plait à imaginer des Trans’ mongoliennes, menées en musique et à un train d’enfer, entre Rennes et Oulan Bator. Quoiqu’il advienne, son premier ambassadeur fera tout pour que la voix de gorge n’arrive jamais dans une voie de garage.

Splendide objet à trois têtes (dix morceaux de musique folk rock, autant de portraits photographiques et de poèmes magnifiques) imaginé par Mickael Le Mûr, « The Lost Souls Bay » fait danser les fantômes de la Baie des Trépassés. Un hommage à la mer et à ses morts sans amertume et plein d’amour.

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Très passées, c’est comme si ces images utilisant la vieille technique du collodion humide étaient habitées par des fantômes. Ceux de la Baie des trépassés par exemple, une vieille légende bretonne n’ayant jamais cessé de fasciner l’enfant de Cap Sizun Mickaël Le Mur (Lebowski, The Dood’s…), alias The Wâll Factory.

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« Self Killer », « Brainstorm massacre », « Ghost family », Dark Night »… Illustrées par dix poèmes et autant de portraits photographiques, les compositions folk-rock de « The Lost Souls Bay » ne sont pas des murder-ballads, mais cela ne les empêche pas de venir se fracasser avec leurs souvenirs sur les rochers, entre la pointe du Raz et du Van.

Dans l’anse du diable, on croise donc encore quelques anges aux mélodies douces et recueillies. Gardien de phare indiquant la route entre les étocs, Mickaël Le Mûr fait bien sûr partie de ceux-là. Bien sûr, « The Lost Souls Bay » n’échappe pas au vague à l’âme, même perdue parce qu’emportée par le courant du Raz de Sein. L’amer se retire, emportant avec lui les morts, et découvre ce magnifique objet.

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The Lost Soul Bay, de The Wâll Factory. The Wâll factory est sur facebookband camp,…

Jean-Baptiste Gandon

 

Deux ans après l’e.p. « Bile jaune », Darcy continue de cracher son venin rock dans la langue de Bertrand Cantat. Les récents faits d’actualité semblent donner raison au groupe rennais qui vient de sortir ses griffes avec « Tigre » : il y a urgence.

 

Mardi 11 septembre 2001, quelque part sur terre, dans les airs, et dans les Hertz… Nous sommes en début d’après-midi, entre Rennes et Caen, sur France Inter pour être précis. L’animateur radio est pour le coup radieux d’annoncer en avant-première le nouveau single de Noir Désir, extrait de l’album « Des visages, des figures » à paraître le lendemain : « Ça y est, le grand incendie… New-York city… Emergency… Sortez la grande échelle. » Pour la petite et triste histoire, la diffusion du morceau sera interrompue par une annonce surréaliste, et finalement authentique : des avions viennent de viser les Twin Towers en plein cœur de New-York. Tout cela pour dire qu’il y a des signes qui ne trompent pas, des intuitions aussi fortes qu’une bombe à neutrons, des prémonitions aussi dévastatrices qu’une caisse de munitions…

 

La brigade du Tigre

Grands fans de Noir Dés’, les musiciens de Darcy étaient encore verts à l’époque. La colère en mode « Bile jaune », leur 1er E.P paru en 2011, était encore loin d’exploser pour atterrir dans les bacs, et les jeunes Buffalo Bill ne savaient pas encore que l’Histoire avec une grande hache viendrait un jour se mêler du destin du groupe rennais : « Nous aurions dû faire l’Olympia, en 1ère partie de Papa Roach », confirme Irvin Tollemer pour le groupe. Programmé deux jours après les attentats du Bataclan, le concert sera finalement annulé… Plutôt que d’un coup de pouce du destin, on parlera de croche-pied. Mais Darcy est resté debout, et les « événements » ont même permis au groupe de s’endurcir, confirmé dans la légitimité de ses textes engagés, et de ses instruments enragés.

 

 

Paru en octobre dernier sur le label Verycords et distribué par Warner, le premier album de Darcy confirme nos intuitions. Racé et lardé de coups de griffes, « Tigre » réaffirme au passage cette absolue nécessité pour le groupe rennais de chanter en Français. Après avoir multiplié les 1ères parties de prestige (No One is innocent, Mass Hysteria, Luke…), Irvin Tollemer et consorts n’ont pas envie de s’arrêter en si bon chemin. Hard-rock’n’roll façon Motorhead ou en mode métal américain, le groupe n’oublie pas non plus sa filiation directe avec les hordes punk-rock françaises. « Darcy en n’est qu’aux balbutiements. Nous avons passé avec succès le test des 1ères parties des grands frères, et nous pouvons désormais voir plus loin. » Sur le retour du français dans les musiques actuelles : « ce n’est pas encore vérifiable pour le rock, mais c’est incontestable pour la pop : des groupes comme La femme, Les pirouettes, Cléa Vincent et bien sûr Fauve ont rallumé la mèche, c’est une bonne chose. À Rennes, quelqu’un comme Romain Baousson (Bikini Machine, Sonic, Volontiers…) fait énormément progresser les musiques actuelles. »

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« Armageddon », « Justice », « Mitraillette », « Paris »… Les titres « coup de poing » se succèdent en rafale, pour le plus grand plaisir posthume des Kalashnikov. À l’image des images pas sages et un brin sulfureuses du clip « Paris », Darcy n’hésite pas à revendiquer et à mettre la société contemporaine et ses leaders au pied du mur. Pleinement engagée dans la lutte, Irvin Tollemer continue quant à lui de bomber le torse dans son Bombers kaki. « Le lendemain des attentats, nous jouions à la maison, c’est-à-dire à l’Ubu. Nous avons retiré « Mitraillette » de notre set-list, mais nous avons joué Paris deux fois. » L’histoire se répète-t-elle toujours deux fois ? Pas sûr… Après avoir frôlé l’Olympia, Darcy pourrait bien cette fois grimper au sommet de l’Olympe.

Jean-Baptiste Gandon

 

« Merci au John Peel Français qui m’a fait mon éducation musicale. » Osée sous la forme d’une dédicace par Christophe Brault, mémoire éminente de l’histoire musicale locale, la comparaison vaut son pesant de disques d’or. Quand les appels de l’onde du premier nous révélaient l’existence de David Bowie, de Joy Division et de The Smiths sur la radio BBC 1, Jean-Louis Brossard et ses partenaires historiques de l’association Terrapin écrivaient quant à eux les pages improbables d’un roman d’anticipation à succès nommé Les TransMusicales.

Quelques extraits : en 1986, quand il programme Noir désir, les Bordelais n’ont encore publié aucun album. Derechef quatre ans plus tard avec I Am. Le groupe de hip-hop marseillais est alors loin, en effet, d’avoir atteint le haut du Panier. L’année suivante, c’est Keziah Jones qu’un producteur tire par la manche pour le sortir du métro parisien et le proposer au festival rennais. Cela méritera bien un coup de chapeau de la part de l’auteur de Bluefunk is a fact, présent à Rennes pour fêter les 25 ans du festival. Tout comme Beth Gibbons, la chanteuse de Portishead. Le groupe de Bristol sera l’une des révélations de l’édition 1994, alors que Dummy, son premier album n’a pas encore fait parler de lui. Vu le titre, me direz-vous… L’on pourrait continuer avec l’histoire plus récente et l’exemple de The Ting Tings : il s’écoulera un an entre leur retentissant passage aux TransMusicales sur la foi d’un simple 45 T, avant que la déferlante médiatique ne s’enflamme et s’empare du phénomène.

Jean-Louis Brossard est donc le John Peel français. Mais quand le disc jockey britannique était exclusivement électrique, notre John Peel se veut résolument éclectique. Un tour operator monté sur ressorts, heureux d’aller dénicher du trip-hop en Chine, de l’electro en Palestine ou un héritier d’Elvis dans les rues de Bombay. Pour lui, la musique est naturellement actuelle, évidemment du monde, le groove universel et sans frontières. Parlez lui rock’n’roll, il vous avoue sa passion pour le free jazz et Albert Ayler. Rappelez-lui enfin  le coup de tonnerre de Nirvana, il vous assure que le groupe incarnant le mieux l’esprit des Trans, c’est Yargo. « C’était en 1987, à l’Ubu. Ils ont eu droit à cinq rappels, alors qu’ils n’étaient encore jamais sortis de Manchester. Les Massive Attack avant l’heure, ils sont revenus six ou sept fois à l’Ubu par la suite. » Esprit de contradiction ? Addiction aux contre-pieds, contre les idées reçues, surtout.

Franchement alors, quel festival peut-il en France se féliciter d’avoir réuni sur un même plateau, et ce dès 1988, les Têtes raides, les Négresses vertes et la Mano Negra ? L’histoire dira par la suite que ces trois couleurs à l’orthographe universel –raides, vertes, negra- permettront à la nouvelle scène musicale française d’étoiler une bien belle bannière. Aux esprits lents les relents, aux Trans les nouveaux talents.

Quel autre festival, dans le monde, peut-il également se vanter d’avoir embarquer sur le même bateau Beck, The Roots, Offspring, The Prodigy, Massive Attack et Portishead ? Nous approchions de Noël 1994, et cette arche de Noé-là n’abritait que des espèces en voie d’explosion… Que des têtes d’affiche, donc. Des icônes de posters promises à la postérité. Mais alors des étoiles brillant seulement dans la tête du programmateur des Transmusicales. Des rois de Rennes, encore sans couronne, mais promis à un long règne sur la planète rock.

La première édition improvisée en 1979 pour renflouer les caisses de l’association Terrapin, devait rester sans lendemains. Ces derniers ne cesseront pourtant jamais de chanter pour le festival, au point que le train des Trans’ est toujours en avance sur son temps, et compte aujourd’hui trente-huit wagons. Mais avant que les Transmusicales ne deviennent ce dessert de fin d’année tant attendu, le décor musical rennais ressemblait à se damner (n’en déplaise à Étienne Daho), au désert dunaire de Saint-Lunaire. Quel météorythme a-t-il bien pu alors bouleverser à ce point ce paysage aux maisons jusqu’alors si sages ?

 

Rio de Janeiro ? Non, Saint-Brieuc !

Du désert au dessert, et du far west au phare breton éclairant bien au-delà des frontières d’Armorique, il est nécessaire de reprendre le train musical en sens inverse en compagnie de Jean-Louis Brossard, l’un des principaux protagonistes de l’histoire. Assis sur la même banquette, déglinguée par les po-go païens de la grande époque, encore humide de crachats rageurs, lacérée par les larsens comme autant de coups de couteaux.

Pour constater que trente-huit ans plus tard, le Bordelais d’origine éprouve toujours le même malin plaisir à servir des grands crus millésimes sans prévenir ses invités. Que le Terre Neuva de la musique tient aussi de son père que les plus beaux voyages ne sont pas forcément les plus lointains… Né à Talence, Jean-Louis Brossard ne restera qu’un an de l’autre côté des grands boulevards bordelais. « Papa était professeur de basson. Nous l’avons d’abord suivi à Nice, puis il a dû choisir un poste entre Rio de Janeïro et… Saint-Brieuc. Ça a été Saint-Brieuc. Je me sens Breton depuis toujours. » À défaut d’enfance brésilienne, elle sera briochine et pleine de brio. Car ce décollage manqué ne l’empêchera pas de bourlinguer aux quatre vents musicaux. Comme l’apprentissage « forcé » du violon, de 5 à 15 ans, « pour faire comme tout le monde dans la famille », n’étouffera jamais les mille mélodies lui trottant dans la tête.

 

Punk moon

À Rennes, une des premières ondes de choc passera par la voix des hertz. « Avec Béa (Macé), Jean-René (Courtès), Richard (Dumas) et Psyché, nous animions une émission de radio, intitulée Rebop. Richard et moi, c’était le punk rock, Costello et Ultravox, Magazine et Patti Smith. Des groupes que tu écoutes en même temps qu’ils naissent. » Revenant en arrière, « mon phare radiophonique était le Pop club de José Arthur du temps de René Lattès, puis de Dominique Blanc-Francard. J’écoutais l’émission de 22h à 1h du mat’, sous mon oreiller. J’avais 13 ans, la page pop des Beatles était déjà tournée.» Cette urgence, cette immédiateté lui inspireront sans doute la devise des Transmusicales : « prendre sans attendre ce qu’il y a à prendre, car certains seront peut-être morts demain. » Paix à leur âme.

Mais remontons dans le train, direction Bordeaux, en provenance de Mont-de-Marsan. « Inconsciemment, je crois que l’une des étincelles des TransMusicales a eu lieu après avoir assisté au festival punk de Mont-de-Marsan. » Nous sommes en 1977, pour la deuxième et dernière édition d’un rendez-vous sans futur. Quoique… Jean-Louis Brossard, Béatrice Macé et Pierre Fablet prennent de plein fouet la déferlante landaise. Assistent, subjugués, au concert de The Maniacs « avec leurs crêtes orange ». Puis au set « super chaud » de The Damned, avant l’électrochoc The Clash. « Je me souviens que j’ai gueulé ‘White riot’, et ils l’ont joué ! Pendant ce temps-là, les Damned balançaient des boules puantes sur scène. C’était bon enfant. » Le lendemain, Dr Feelgood et Little Bob enfilent les perles, avant que Bijou n’enfonce le clou. « Palmer s’est tellement donné, qu’il est sorti de scène sur une civière… »

Autre étincelle : « Hervé (Bordier) tenait un magasin de musique, et possédait déjà l’expérience de l’organisation de concerts. C’est à lui que je dois par ailleurs l’entrée dans l’association de mon camarade de musique, Thierry « Titi » le Huitouze. Ce dernier tiendra 16 années durant les manettes des TransMusicales comme régisseur technique. »

 

79, année électrique

Des punks dans les Landes, d’accord. Mais transposer la formule à Rennes, petite bourgade bourgeoise plus habituée à la fièvre catholique… « Il n’y en avait que pour Yes et Emerson Lake and Palmer. Nous ressentions ce besoin urgent de morceaux de 2,30 minutes, avec le po-go et les crachats qui vont avec. » Réveiller Rennes l’endormie en somme, quant à quelques encablures, Nantes la portuaire grouillait d’échanges trépidants. Et, surtout, montrer la scène rennaise naissante aux Rennais. Un message parfaitement reçu par le public : les deux soirées de juin afficheront complet, avec un taux de participation (libre) de 3,33 francs par spectateur en moyenne. Modeste contribution, mais le 3,33 Tours du monde de la musique pouvait commencer, tournant autour d’un tout petit centre ville. Celui de Rennes, point de fixation pour toute une scène musicale, Rennaise puis bretonne, loin du stress et des prétentieuses paillettes de la capitale. À l’affiche cette année-là, le set des Marquis de Sade, « cinq européens en costume électrique » marquera bien sûr les esprits. Les Joy Division français « se mordaient l’intérieur des joues pour paraître plus maigres, alors qu’ils ressemblaient déjà à des chats de gouttière », s’amuse encore Jean-Louis Brossard. Pour certains musiciens Rennais, cette première apparition sera le point de départ d’un compagnonnage au long cours avec le festival. Ainsi du saxophoniste Philippe Herpin, qui d’Anches Doo Too cool à Sax Pustuls, enchaînera les projets, avant de porter à bout de bras l’audacieux projet qui mènera à la création de FFF. Le guitariste Pierre Fablet mettra quant à lui le contact dès 1979 avec Entre les deux fils dénudés de la dynamo avant d’entamer une longue boucle (Les Plaies en 1981, Tohu Bohu en 1982…), refermée trente ans plus tard au sein de Complot. Gilles Rio (P 38 en 1981, Les Conquérants en 1983…). Que dire alors de Sergeï Papaï ? Que le chanteur-bassiste se souvient certainement comme si c’était hier de la prestation très punk de Frakture.

Pendant les trois premières années, le festival se nourrira en fait de ce fertile terreau à géométrie multiple, qu’il enrichira en retour en leur permettant de s’épanouir sous la lumière des projecteurs. Citons Les Nus, de l’ex-Marquis de Sade Christian Dargelos, à l’affiche l’année suivante, et dont le morceau d’anthologie Johnny Colère sera plus tard repris par Noir Désir. Dominic Sonic, qui conservera longtemps comme une précieuse relique, sa chemise déchirée dans un élan d’héroïsme rock’n’roll, avec les Kalashnikov. James Bond qui deviendra L’ombre jaune, qui deviendra Niagara, les deux premiers programmés aux Transmusicales. Magie ? Mystère ? la greffe rennaise prend tellement bien que certains groupes changent de nationalité. « Un jour, le patron du label New Rose m’appelle enthousiaste pour m’annoncer la signature des Rennais d’Orchestre rouge. Théo Hakola et son groupe étaient pourtant bien Parisiens ! » Pour comprendre cet arbre généalogique aux ramifications complexes et subtiles, on ne saura trop conseiller la lecture de Dix ans de rock rennais, signé Christophe Brault et épuisé depuis belle lurette. Ce qui est vrai, et pour conclure, c’est que nombreux étaient déjà là en 1979, et sont toujours bien là, plus de trente ans plus tard, en 2016. La preuve d’une très, très, haute-fidélité.

 

Sans transition, le monde

Le cercle concentrique du festival s’élargit rapidement. De Rennais, puis Rouennais ( Les Dogs, Les Flics, Pin-Ups, Oenix…) en 1981, son horizon s’européanise avec la soirée du label belge Crammed disc en 1982. Minimal Compact assure un max, Jean-Louis Brossard rencontre Samy Birnbach, futur DJ Morpheus et aujourd’hui son ami de 30 ans. L’année suivante, Arno, l’autre Belge des Trans’ fait la première de ses quatre apparitions, avec les T. C. Matics cette fois. Les Italiens de l’étape s’appellent Liftiba, les Joy Division espagnols La Fundacion.

Il faut attendre la 6ème édition, en 1984, pour que les Anglais débarquent, avec The Fall. L’information ne tombera pas dans l’oreille d’un sourd, Jean-Louis se souvient encore de l’otite de Mark E. Smith et de son passage par Pontchaillou. Il n’a pas oublié non plus les Chevalier Brothers, « Je les avais repérés au Half Moon à Londres. Cela reste un des très grands moments des Trans, avec The Mint Juleps, un quintette de nénettes chantant de la soul a capella. » Les années passent, les modes changent, à l’image des treillis militaires de Front 242. Mais pas le mode d’emploi, toujours aussi simple d’utilisation, direct et spontané : le chanteur de Sigue Sigue Sputnik l’apprend à ses dépens en 1986. « Mécontent d’avoir reçu une canette dans la figure, il chercha des noises au public, et sera finalement viré par le responsable de la sécu. »

Lenny Kravitz, House of love, Urban Dance Squad… (1989) ; FFF, I Am, The La’s, Soup Dragons… (1990) ; Zebda, Keziah Jones, Nirvana, Assassin… (1991) ; Pavement, Sonic Youth… (1992) ; Björk, No one is innocent, Les Rita Mitsouko, Jamiroquaï, Ben Harper, Carl Cox… (1993) ; Beck, The Roots, Massive Attack, Offspring, The Prodigy, Portishead… (1994) ; DJ Shadow, Garbage, DJ F. Galliano, The President of the United States, The Chemical Brothers, Saint-Germain… (1995). L’on pourrait prolonger à l’envie cet inventaire « à la Brossard ». Mais plutôt que d’énumérer l’innombrable, souvenons-nous que les Transmusicales atteignent une sorte de quintessence dans les années 90, une substantifique moelle résumée dans les soirées Planète : « certains se sont mis à prendre des platines comme on prenait des guitares en 1977. Mais surtout, les talents existaient déjà, chez nous, à Rennes. » Internet aidant, les années 2000 ne feront qu’accélérer le métissage des genres et les trans-connexions, les révolutions musicales et les révélations. Peu importe le style, pourvu que l’énergie soit là. Plus qu’un festival, les Transmusicales étaient devenues un label. Partie de Rennes, point minuscule de la Province française, la spirale Transmusicales n’a donc jamais cessé de tourner en cercles toujours plus larges, embrassant l’Europe, puis la planète. Que demander de plus au phare breton ? D’éclairer la lune ! Punk moon’s not dead !

Jean-Baptiste Gandon

 

 

   

 

Pas de chant chez Fragments. L’électro organique du trio rennais voyage sur une autre voie, bordée de sons et de rêves aux couleurs froides de la Scandinavie.

Une phrase tourne en boucle autour de Fragments. « Mais pourquoi vous ne chantez-pas ? ». Benjamin Le Baron, Tom Beaudouin et Joris Saidani ne se sont jamais posés la question. Mais ils ont la réponse. « Écrire, c’est difficile. Il faut avoir des choses à dire. Et il faut savoir chanter. La musique instrumentale développe un autre imaginaire. Plus libre ».

 

« On est plus Suède qu’Espagne »

Sorti des eaux en 2012, remanié après le départ de Sylvain Texier, le groupe vogue sur les claviers et les guitares en mode instrumental, à contre-courant. Entre post-rock et électronica. Pas de gros beats, des sons fins, des nappes envoûtantes, des arabesques mélodiques…

La musique de Fragments évoque Apparat, Mogwaï ou Air. Elle respire les aurores boréales, les lacs gelés et les forêts épaisses des pays nordiques. Couleur bleu nuit. Elle bricole des petites rythmiques organiques à base de pas enregistrés dans les feuilles mortes ou de percussions sur un vieux radiateur.

Les copains de Fragments sont des rêveurs à la mélancolie lumineuse. Leur musique contemplative appelle les images. Qui les appellent aussi. Pour la bande annonce d’un documentaire d’Arte sur les enfants adoptés puis abandonnés aux Etats-Unis, par exemple. Mais aussi pour un reportage sur la victoire de l’équipe de France de water-polo… Rien à voir. « La musique instrumentale suscite toutes les émotions ». La tristesse comme l’espoir chez Fragments.

 

FIP fan

Aux origines, de bonnes fées se sont penchées sur le berceau du trio. Le label rennais Patchrock et l’Antipode MJC, en particulier. Puis le bébé a grandi vite sur les tremplins et les tournées du Printemps de Bourges, des Transmusicales et des Vieilles Charrues. Un premier album (Imaginary seas) est sorti en 2016, suivi d’un live et une sélection FIP. Une belle vitrine pour aller plus loin.

Sur son succès naissant : « On est encore étonné. On fait de la musique de niche, pas très dansante. Sur le papier, ce n’était pas gagné ». Les programmateurs ont révisé leur jugement. « Au début, ils craignaient que ça soit trop calme. Genre chiant… Puis ils sont venus nous voir jouer ». Un jeu habité, tendu et expressif. L’heure est au live pour défendre le premier album. Un quarante-cinq tours sortira au printemps. Fragments a pris son temps. Du temps long, lent et léger. Et maintenant, tout s’accélère.

Olivier Brovelli

 

Fragments, « Imaginary seas », 2016, www.patchrock.com

 

 

D’ordinaire dans l’ombre du studio d’enregistrement, Antoine Chabert, alias Chab, s’est retrouvé en pleine lumière en 2014 grâce aux Grammy Awards. Le Vezinois d’adoption a été récompensé trois fois pour le mastering de l’album de Daft Punk porté par le tube planétaire « Get Lucky ».

 

Pas simple de définir sa fonction. « Il n’existe pas de traduction française, explique Chab. Les Anglais disent masterer, mais masteriseur ce n’est pas beau. » Va pour ingénieur du son, bien qu’il ne participe pas directement à l’enregistrement de l’œuvre. Il intervient entre le mixage et le pressage du disque, afin que les titres soient écoutables sur tous les supports (CD, vinyles, radios, smartphones…). « C’est un travail d’équilibriste sur les graves, les aigus, le volume, la dynamique d’un morceau. Je suis censé corriger les défauts. » Des défauts infimes inaudibles au novice. « Au début, moi-même je n’entendais pas la différence lorsqu’un ingénieur tournait un bouton. Puis l’oreille se forme, s’affûte, comme un muscle. Même si on a des prédispositions pour faire ce métier. »

 

Titulaire d’un BTS audiovisuel, spécialité son, Chab est venu par hasard au mastering. Musicien par passion, il s’affaire derrière la console du groupe Playdoh en parallèle à ses petits boulots. Puis se fait embaucher en janvier 2000 à Translab, important studio parisien. Premier « gros boulot » et première réussite (« Angela » de Saïan Supa Crew). Bouche-à-oreille et confiance avec l’équipe artistique font le reste. Parfois le producteur, l’ingé son ou l’artiste (« Daho et Cantat viennent tout le temps ») assistent au mastering. « Il faut être à l’écoute. » Surtout lorsqu’on touche à tous les styles, de l’électro à la chanson, du rock à la variété. « Je ne sélectionne pas. J’aime changer. Florent Pagny n’est pas ma musique de prédilection mais je suis content de le faire. »

 

Grammy Awards : 3, Victoires de la Musique : 0

Avec Daft Punk, la rencontre s’est faite sur un autre registre. « Ils travaillaient sur la BO du film Tron dans un studio voisin. On s’est prêté du matériel et en échangeant nos impressions une relation humaine s’est créée. » Ils ont fait appel à lui pour leur dernier album alors qu’il avait déjà été masterisé par l’américain Bob Ludwig. « Une figure mythique ! C’était délicat mais ils estimaient qu’il avait trop respecté les mix. Les Daft Punk sont très pointilleux mais ils ne mettent pas la pression. On a le temps. J’ai dû y passer une dizaine de jours alors qu’il en faut un ou deux d’habitude. »

Pour la cérémonie des Grammy à Los Angeles, Daft Punk avait convié tous les techniciens. Chab est monté sur scène récupérer les statuettes. « Je me retrouve sur les photos officielles car les autres préparaient le live avec Pharell Williams, Nile Rodgers et Stevie Wonder. » Ces récompenses ont accru sa notoriété hors de France. Désormais dans ses propres locaux, assisté de deux employés, Chab est à bloc. La semaine en studio à Paris, le week-end en famille à Vezin-le-Coquet. Un transfert du studio à Rennes est envisagé à terme, « mais c’est trop tôt. Paris est encore une plaque tournante ». Sauf pour les Victoires de la Musique, qui ne daignent toujours pas célébrer les techniciens.

 

Eric Prévert

http://www.chabmastering.com/

Trans Musicales, Travelling, Mythos, Route du Rock, Vieilles Charrues, Art Rock… et même le Stade de France. Depuis deux décennies, le rennais Didier Verneuil arpente coulisses et scènes comme régisseur technique.

« Quand t’arrives au fin fond du Mexique et que t’as que trois projos, faut te démerder ! » Souvenir d’une tournée avec la compagnie théâtrale Fiat Lux où Didier Verneuil officiait parallèlement à ses débuts à l’Ubu en 1994. « Un pote éclairagiste m’avait refilé le plan. » Débrouille, réseau, mobilité, adaptation, réactivité…, les qualités du technicien sont posées. Les mêmes qu’aujourd’hui, la professionnalisation en plus. « Finit le système D à l’ancienne. Tu ne peux plus bidouiller. Le matériel est de plus en plus sophistiqué et demande des formations poussées. Avant, un éclairagiste montait régler un projecteur, maintenant on embauche un ingénieur réseau car il y a une prédominance de l’informatique et des signaux. La technique devient une industrie, comme dans le cinéma. »

C’est d’ailleurs vers le 7e Art que Didier Verneuil voulait d’abord se diriger. Après des études scientifiques (Bac D, DEUG de Physique-Chimie), il échoue au concours d’entrée de l’école Louis Lumière, puis devient bénévole au festival Travelling. Assistanat puis remplacement du régisseur général, rencontre avec les techniciens de l’Ubu et du TNB alors que Travelling s’y déroule. Il travaille aussi sur quelques courts-métrages. De films en aiguille, de stages en contrats aidés, Didier Verneuil est embauché à l’Ubu.

Des Trans au Stade de France

Au fil des Trans Musicales, il prend du galon, passant de l’Ubu au Liberté puis à la direction technique du Parc Expo. La Route du Rock, les Vieilles Charrues, Art Rock… font appel à lui. En 2007, il quitte les Trans puis travaille un an au Stade de France. Bienvenue à Madonna ou à U2 et ses 80 semi-remorques ! « A la base c’est le même boulot, mais les moyens sont démesurés. » L’expérience est enrichissante mais les trajets Paris-Bretagne sont compliqués, d’où retour à Rennes en 2009. Avec des collègues régisseurs, il crée la société Four Everything afin de « diversifier les activités : événementiels, prestataire local pour les tourneurs extérieurs… ».

Chargé de l’organisation logistique des concerts (son, lumière, vidéo, effets spéciaux, structures…), Didier Verneuil évolue entre bureau et terrain. Avec beaucoup de négociations car les groupes sont de plus en plus exigeants techniquement (« c’est le live qui les fait vivre ») et le matériel évolue sans cesse. « En 2013, Disclosure jouait à la Route du Rock avec un demi-camion ; cette année aux Charrues ils avaient quatre semi-remorques ! Mon travail consiste à dimensionner les équipes en fonction de ces nouvelles donnes. » Les coûts sont exponentiels chaque année mais les budgets sont tellement serrés qu’il faut parfois faire appel aux bénévoles. « Ou alors les places seront à 150€ par jour comme en Angleterre. Les festivals devraient placarder les chiffres des recettes et des dépenses à l’intention du public ! »

Eric Prévert

Hier disquaire de Rennes visionnaire, Hervé Bordier est aujourd’hui le programmateur du festival Rio Loco à Toulouse. Le créateur des TransMusicales y a élargi son horizon rock aux musiques du monde. Interview croisée entre hier et aujourd’hui, le nord et le sud.

1 / Votre parcours est long, mais pouvez-vous tenter un résumé ?

Mon histoire a commencé à Rennes, dans le courant des années 1970. J’ai été embauché à Disc 2000, un magasin spécialisé dans la musique américaine et anglaise, même si le créateur de la boutique venait plus du jazz et de Saint-Germain-des-Près. Quoiqu’il en soit, Disc 2000 est devenu le bastion de la ville, toute la jeunesse rennaise y défilait, et c’est comme ça que j’ai rencontré mes futurs partenaires des TransMusicales.

De fil en aiguille, j’ai commencé à organiser des concerts. Le premier, c’était Alan Stivell en 1971, pour la sortie de son premier album solo. Ça se passait au Régent, un cinéma de la rue Papu. Tiens, cela ne s’invente pas, voilà Glenn Jégou (le monsieur musique bretonne de Rennes, ndlr) qui essaye de me joindre, il a du entendre le nom d’Alan Stivell…

2 / Et donc ?

J’ai continué à organiser des concerts. J’ai monté une association, Terrapin, en hommage à Syd Barrett. Il y avait déjà une vraie scène musicale à Rennes dans les années 1970. Il s’agissait surtout de groupes de bal qui faisaient des reprises de standards du rock. Les TransMusicales ont été créées pour donner une scène à ces groupes-là. Dans ma tête, il s’agissait d’une édition « one shot », sans lendemain, mais un article dithyrambique écrit par un journaliste de Libé a changé l’histoire des Trans… Je suis monté à Paris où j’ai rencontré les groupes des éditions suivantes : Théo Hakola, Mona Soyouz (Kas Produkt) ou Stéfan Eicher sont devenus des compagnons de route du festival.

Il est important de noter que l’équipe des Trans a été bénévole jusque dans les années 1990. Je suis précisément revenu à Rennes pour mettre en place l’association TransMusicales, en 1990. 1990 est une année très importante dans l’histoire des TransMusicales.

3 / Et après Rennes ?

J’ai été directeur de l’Aéronef à Lille, puis responsable national et international de la fête de la musique. Je suis arrivé à Toulouse en 2011 pour participer à la création du Métronum, une mini salle de la Cité, ou plutôt un mix entre les missions du Jardin Moderne et d’A.T.M (association TransMusicales). Je tiens beaucoup à cette vision de lieu partagé, et je ne suis toujours pas convaincu par le format Smac et la pensée unique.

Enfin, je suis depuis 2011 le programmateur du festival de musiques du monde Rio Loco.

4 / Entre la ville rock et la ville rose, votre cœur balance ?

 Il y a également une grande diversité à Toulouse, à l’image de ses nombreuses associations organisatrices de concerts. Chacune des deux villes a sa propre histoire. Celle de Rennes est très influencée par les années 1980, les TransMusicales et l’Ubu. À Toulouse, il y a l’empreinte de Claude Nougaro et de Zebda, le rôle de premier plan de la salle le Bikini… Surtout, c’est une ville qui sait se réinventer. Pour parler du présent, toute une scène a émergé sur les rives de la Garonne depuis 3 ou 4 ans. Je n’ai pas l’impression que Rennes soit en capacité artistique de sortir de nouveaux groupes. Comme si la ville était prisonnière d’une certaine nostalgie. Moi, je m’en suis échappé en 1995.

5 / Est-ce difficile de passer des TransMusicales à la Fête de la musique ?

Bien au contraire, organiser la Fête de la musique m’a appris l’intérêt général, et aussi à réfléchir sur les frontières entre musiques amateures et professionnelles. Et je ne suis pas peu fier d’avoir organisé cet événement « so french » à New-York. Rétrospectivement, je constate que j’ai toujours fait mes choix de carrière en fonction de critères comme le partage, le passage, la transmission… Des notions présentes dans l’appellation TransMusicales, un nom que j’ai moi-même trouvé.

6 / Quelques mots sur l’édition 2016 de Rio Loco ?

J’en suis le programmateur depuis 2011, mais le festival a déjà 20 ans. L’urbain que je suis n’a pu qu’être fasciné par son site sublime : des prairies situées en plein centre ville ! En tant que programmateur, j’ai abordé la lusophonie, les Antilles et les Caraïbes. Pour boucler la boucle avec Alan Stivell, l’édition 2016 nous a emmené à la rencontre des mondes celtes. À l’affiche également : le Rennais Olivier Mellano pour son projet « No Land » avec Brendan Perry (Dead Can Dance et le bagad de Cesson-Sévigné), les Bretons Miossec, Patrick Molard, Denez, Erik Marchand & Bojan Z… Un grand mix entre tradition et modernité, entre occitanie et celtitude.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Gandon

Après une pause de plus de trente ans, Les Nus ont remis leur habit de lumière à la faveur d’une reformation, un soir de TransMusicales 2013. La légende est de nouveau en marche, Johnny peut fourbir sa colère et le chanteur Christian Dargelos nous faire part de son enchantement.

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« Sans la reprise de ‘Johnny Colère’ par Noir Désir, il n’y aurait pas eu de second album. » Le décor est posé, clair comme de l’eau de rock : si Les Nus n’avaient pas été les idoles du célèbre groupe bordelais, l’histoire se serait arrêtée là, sur un coup d’essai « raté » et un premier album non assumé. « Elle est parue en 1986 sur ‘Tostaky’, à mon sens le meilleur album de Noir désir. Dès lors, les Nus ont cessé d’être un groupe de scène ayant raté son disque, ou encore un satellite de Marquis de Sade. »

Les Nus pour les nuls

Pour la petite histoire, les non initiés ont longtemps cru que les Nus étaient les élèves et Noir Dés’ le maître… Et pour la grande anecdote : « Nous jouions dans un festival à côté de Bordeaux. Les Dogs et Gun club étaient notamment à l’affiche. À la fin du concert, quatre jeunes mecs et une nana sont venus me voir, me donnant rendez-vous le lendemain matin dans le hall de mon hôtel. Ils étaient bien là, ponctuels. Nous nous sommes rendus dans une maison à côté de Bègles. Il y avait un studio aménagé dans une cave. » Christian Dargelos revient sur ce sentiment étrange qui l’étreint encore, rétrospectivement : «  C’est drôle, pour eux, nous étions Led Zep’, c’est-à-dire des Dieux. Au final, nous avons joué une heure, ils connaissaient notre album par cœur ! » Fin de l’histoire ? « Je les ai loupé aux TransMusicales en 1986, mais par chance, ils sont revenus à l’Ubu en février suivant. » Fin de l’histoire ? « Cinq ou six ans plus tard, j’ai appris qu’ils voulaient reprendre Les Yeux. » Ce sera Johnny Colère : « Noir Désir, c’est le groupe français le plus important de l’histoire du rock, ça peur relancer une carrière. »

À l’origine du groupe Marquis de Sade et des Nus, Christian Dargelos est à Londres, en 1976, dans le creuset du No Futur, là où se dessine alors l’avenir du rock. « J’ai vu les Sex Pistols au Nashville, un gros pub de Londres, les Wana Warners de Joe Strummer, les Heartbreakers de Johnny Thunders, The Cure et Siouxie and Banshees… » Londres est alors un melting pot rock bouillonnant, prise d’une folie furieuse pour le moins contagieuse. « Les seuls que je n’ai pas vus, ce sont les Clash. » Ma plus grosse claque ? « Sans hésiter les Stranglers, dans une cave de Covent Garden. Jean-Jacques Burnel est celui qui m’a le plus impressionné, sans doute parce que comme lui, je suis bassiste et chanteur. »

L’appel de Londres et, avec la marée montante, la vague New wave qui finira par s’abattre sur Rennes. « Hervé Bordier a par exemple fait rapidement découvrir The Cure aux Rennais. À cette époque, toute la musique de l’ouest est alors concentrée à Rennes. »

 

Johnny Colère en couleur

« Il fallait les refaire… » Réenregistrer L’étrange vie, ce titre « à mi-chemin entre les Doors et les Stranglers », Le Mime hurlant, Johnny Colère et tous ces titres délavés par un premier enregistrement sans couleurs. L’occasion de faire d’une pierre qui roule deux coups en y ajoutant des titres maquettés de longue date, mais néanmoins inédits.

« En 2013, nous nous sommes reformés pour un concert à l’Ubu, histoire de rigoler un peu. Jean-Louis Brossard a voulu nous intégrer à la programmation des TransMusicales et nous offrir la scène du MusikHall, mais pour nous, la marche était trop grande… Nous avons finalement opté pour un concert à l’Ubu, en hommage à notre ami et membre des Nus, Frédéric Renaud. » Présent dans la salle, Étienne Daho encense les idoles. Il réalisera Les Années Reagan, pas rengaine pour deux sons. Enregistré en deux jours au studio Cocoon de Vern-sur-Seiche, ce deuxième album lui aussi éponyme reçoit de bonnes critiques, ce qui « répare un peu les dégâts causés par le premier. » L’occasion d’y redécouvrir un « Johnny Colère » plus sauvage que jamais, un « Clown » toujours aussi triste, et au final, du rock dans toute sa splendeur, « noir et tendu », résume Christian Dargelos. « Nous sommes bien dans l’univers des Nus, quelque part entre Nino Rota et les Stranglers. »

 

2017, l’année des Nus

Écrit juste après la révolution iranienne, La force de l’Islam rencontre aujourd’hui l’étrange écho de l’actualité : « Je suis conscient de cette possible ambiguïté. Cette chanson parle certes du fanatisme, mais aussi du magnétisme de cette religion, y compris dans le rock occidental. Je pense au ‘Killing an arab’ des Cure, au ‘Paint it black’ des Stones, au ‘Kashmeer’ de Led Zeppelin. J’adore la musique orientale, on peut également l’entendre entre les lignes de ‘Johnny Colère’. »

2016… « Le train est remis en marche, et les récentes critiques m’ont donné envie d’un 3e album. J’ai encore quelques textes et bribes de musique dans mes tiroirs find locksmith dublin . Des vieilles choses mais ce n’est pas grave, notre musique est intemporelle. » Pour quand ce 3e Nus ? « 2017 ». Une nouvelle qui fera tomber les fans des nues.

Jean-Baptiste Gandon

À suivre : un nouvel album en 2017.

« La reprise de Johnny Colère est parue en 1986 sur ‘Tostaky’, à mon sens le meilleur album de Noir désir. Dès lors, les Nus ont cessé d’être un groupe de scène ayant raté son disque, ou encore un satellite de Marquis de Sade. »

Elle ne se considère pas comme une experte en matière musicale, et pourtant… Sans Béatrice Macé, la partition des TransMusicales ne sonnerait sans doute pas aussi juste. Depuis plus de 30 ans, l’ombre porteuse du festival prend son pied en coulisses, et veille au bon grain de son organisation. Pour cette fille attentive aux mouvements féministes et à la fièvre de San Francisco, la lutte continue.

Leur famille respective l’avait prévu : elle devait être archéologue, lui médecin. Elle sera architecte du festival, et lui, maître du son. Au lieu de mettre à jour des vestiges, elle ne cesse de bâtir. Plutôt qu’apporter le remède, il préfère inoculer le virus. L’aventure des Transmusicales se résume un peu dans celle de Béatrice Macé et de Jean-Louis Brossard. L’histoire d’une rupture, qui continue encore aujourd’hui, plus de trente ans après ce fameux mois de juin 1979.

« J’arrivais de Dinan. J’ai rencontré Jean-Louis (Brossard) en 1976, et Hervé (Bordier) l’année suivante. Au total, nous étions une bonne dizaine. Le fait est que chacun a très vite trouvé sa place. » Elle l’organisation et la production, Hervé Bordier la communication et l’artistique, Jean-Louis Brossard la programmation et la musique… Elle parle d’une « addition d’obsessions », et voit dans la permanence de l’équipe organisatrice l’un des trois ingrédients permettant, avec les artistes et le public, à une telle aventure de suivre son cours.

1979, donc. À Rennes, comme ailleurs dans la France de Giscard d’Estaing, le rock ne semble pas promis à une grande destinée. « Nous allions aussi souvent à Londres qu’à Paris, se souvient la directrice du Festival. Pour ma génération, la référence était encore les années 60, les mouvements de contre culture, comme la scène de San Francisco, Mai 68, le Viet Nam… » L’apathie de la patrie sonnera le coup d’envoi de la partie. À Rennes comme à Rouen représenté en force lors de la seconde édition, l’œuf de la nouveauté éclot plus tôt qu’ailleurs.

 

Ça croise !

« Nous étions juste des post-adolescents qui avions la chance de vivre notre liberté. J’ai analysé tout cela plus tard, mais je revois un peu cette époque comme j’imaginais dans mes rêves la Bohème de Saint-Germain des Près. Tous les groupes rennais faisaient des impromptus, se rencontraient. L’expression du moment, c’était : ça croise ! » Deuxième passager du paquebot Trans, les artistes rennais se croisaient en effet au carrefour d’influences pour le moins marquées. Jean Genet pour Les Nus, le Swingin’London pour Étienne Daho, la science-fiction et Philip K Dick pour Ubik, l’expressionnisme pour Philippe Pascal ou encore le free jazz pour Philippe Herpin… Avec un tel pedigree artistique, Rennes ne pouvait ressembler à rien de connu.

« Rennes a été la ville où tout a été possible, et c’est toujours le cas. Comment une ville de province peut-elle devenir la ville du rock ? » L’idée peut sembler improbable, c’est pourtant ce qui s’est passé. « Ce qu’exprime Jean-Louis dans la musique, c’est une idée : la liberté. Pourquoi reproduire ce que d’autres font ailleurs, alors qu’explorer peut nous apporter tant d’autres choses, tant d’autres sensations ?» Explorer… Qui aurait cru que les corsaires malouins et les grands voyageurs bretons étaient à l’origine du festival rennais ?

Béatrice avait donc 20 ans, quand elle déclara à un papa féru d’histoire qu’elle ne ferait pas l’École d’Athènes, et qu’elle abandonne les études de latin/grec. L’association Terrapin serait donc sa thérapie post-adolescente. « De 1979 à 1985, nous avons vécu chaque édition des Transmusicales comme la dernière. Nous pensions cet événement comme quelque chose d‘éphémère, le mot d’ordre, c’était one shot. » C’est l’époque où l’on recense difficilement 20 concerts par mois, le rythme hebdomadaire d’aujourd’hui… En 1985, l’Association Trans Musicales (ATM) enterre Terrapin. « On est passé d’une simple action qui nous plaisait à un projet construit qui se projetait dans le futur et nous entraînait dedans, avec les responsabilités que cela sous-tend. »

 

30 ans de réflexion

 A-t-elle déjà eu peur ? A-t-elle eu le sentiment de jouer la vie des Transmusicales a quitte ou double ? Le feu de la passion semble étouffer les froids souvenirs de la raison. Pourtant, quelques braises incandescentes brûlent encore, ça et là. « En 2004, j’ai vécu seule la décision d’aller au Parc expos pendant deux ans, lâche finalement Béatrice Macé. Il a fallu que l’équipe, les artistes et les publics apprivoisent les lieux, pour que je ne ressente plus le poids de ce choix. Et si je m’étais trompée ? »

« C’est sûr aussi, que nous avons pris des risques : avec la première rave des Transmusicales par exemple, quand tout le monde vous accuse d’inciter la jeunesse à consommer de la drogue. » Étrange paradoxe de l’histoire, c’est un mouvement de contestation qui faillit avoir raison du festival, pourtant né lui aussi de sa jeunesse rebelle. « Avec les grèves anti-Juppé de 1996, ça été terrible. Les trains restaient à quai, nous lancions les soirées Planète au Parc, ce qui signifiait une capacité d’accueil doublée.  Au final, nous avons pris un bouillon d’un million cinq cent mille francs.» Troisième grande peur, née de ce qui est devenu une erreur : la décision de programmer les Fugees. « Ce choix aurait pu nous anéantir. Cette tête d’affiche a été l’arbre cachant la forêt des 70 autres groupes, tout ça pour une prestation plus que médiocre. » La leçon sera rapidement apprise : plus jamais de dépendance à un nom !

Son plus mauvais souvenir ? « Sans hésiter Bootsy Collins. Nous l’admirions tous. C’était un nom, une référence. Il nous a trahis en quelque sorte, ça a été une déception sur tous les plans, musical et humain. Même son attitude hors de scène a été décevante. »

Le meilleur alors ? « Ils sont nombreux, mais je citerai Yargo, Fishbones, Moondog. » L’histoire de leur venue, c’est celle des Trans’, d’une relation humaine née grâce et par le concert. « Avec 80 groupes à gérer, ce n’est plus possible pour moi aujourd’hui d’aller à la rencontre des artistes. » Pas de frustration, d’amertume, de nostalgie pour autant. « Les TransMusicales d’aujourd’hui sont toujours fidèles aux TransMusicales du début. Personne ne peut nous accuser de parjure. » Dans le moment présent où l’œuvre s’est transformée en produit culturel, et l’industrie des loisirs est passée par là, l’équipe organisatrice continue de peaufiner le festival comme un objet d’art et vit son travail comme celui d’un artisan, année après année. « La programmation, par exemple, n’a rien à voir avec du remplissage de cases this website. Il n’est pas rare que Jean-Louis décide de reporter la venue d’un groupe à une édition ultérieure parce qu’il ne l’estime pas encore prêtLes Trans, c’est comme un livre : chaque édition est un chapitre, et chaque groupe un mot. »

  1. Le paquebot Trans n’a pas fini sa croisière mouvementée, même si l’un des trois capitaines, Hervé Bordier, a quitté le navire… « Hervé est parti au milieu des années 90 parce qu’il estimait qu’on ne se renouvelait pas. Je crois aussi qu’il avait mis beaucoup de lui-même dans un projet qui finalement n’a pas pu se faire. » Nom de code de l’opération : Roi Arthur, une sorte de Nothing Hill festival Rennais, grand défilé axé sur les arts de la rue et le cirque. Faute de table ronde, le chevalier des Trans est allé quêter son Graal ailleurs. En attendant, alors que les grands festivals d’été proposent une programmation discount, les Transmusicales d’hiver continuent de réchauffer nos oreilles, à leur manière. « Si les Vieilles charrues sont un supermarché, alors nous sommes la petite épicerie de coin », conclut Béatrice Macé. Une petite épicerie où l’on trouve toutes les saveurs du monde, bien entendu.

Jean-Baptiste Gandon