Les disquaires indépendants résistent

 Il y a 30 ans, ils étaient près de 3 000. On en recense moins de 400 aujourd’hui en France. Qui trouvent cependant une nouvelle notoriété grâce au regain du vinyle et à la manifestation Disquaire Day. Hormis Paris, Rennes est la ville qui compte le plus de disquaires par habitant. Tour d’horizon de ces irréductibles qui creusent leurs sillons malgré tout.

 

Rockin’ Bones (7 rue Motte Fablet)

Quand on lui demande ce que ça fait d’être l’ancêtre des disquaires rennais (2000), Sébastien Blanchais se marre : « Ça fait peur ! ». Puis, il tempère : « Ça prouve que je ne me suis pas planté sur l’orientation de mon magasin. Tout le monde faisait du CD, moi j’aimais le vinyle. » Son stock avoisine désormais les 10 000 pièces (pour un millier de CD’s) rock’n roll, blues, soul, garage, rockabilly, ska… « Je connais mes disques sur le bout des doigts. » Ni esbroufe, ni prétention chez cet authentique passionné que ses potes surnomment Boogie. Musicien (Head On, Dead Horse Problem), fondateur du label Beast Records, organisateur du Binic Folk Blues Festival, Seb est toujours sur la brèche. « Si tu veux faire des thunes, bouge toi le cul ! Je suis tout seul, ça m’a permis de tenir. Je vis confortablement, mais je bosse 7 jours sur 7. C’est compliqué. Il faut sortir, faire le lien avec les gens. A chaque concert, j’emmène des bacs des skeuds. Je n’ai pas pignon sur rue, mais j’ai des clients fidèles. » D’ailleurs, quiconque est allé dans son antre sise au fond d’une cour invisible de la rue n’a qu’une envie : y revenir.

 

Les Troubadours du Chaos (48 rue Saint-Malo)

Dix ans d’activité, mais l’humeur est maussade. Pas envie de fêter cette longévité. La vitrine est calfeutrée en noir, constellée de slogans « gentiment politisés », dixit le gérant Laurent Fresneau. La faute aux travaux de voirie et au chantier de la place Sainte-Anne. Les passants sont comme peau de chagrin. Et impossible d’envisager un déménagement à cause du coût du pas de porte. Après plusieurs années d’itinérance dans les festivals, les conventions de collectionneurs, les foires aux disques, le parisien se réjouissait pourtant d’implanter à Rennes son commerce original : disques d’occasion (2/3 vinyls, 1/3 CD’s) et vêtements rock’n roll. « Un bon compromis, plus pratiqué à l’étranger qu’en France. » Punk, gothique, coldwave, indus, psycho, rock français 80’s…, toutes ces pépites seront-elles prochainement cantonnées à la VPC sur internet ?

 

Blind Spot – Les Angles Morts (36 rue Poullain Duparc)

« Si je discute avec un directeur de start up, il ne dit pas que ça marche, confie Pierrot, l’un des deux piliers de Blind Spot. On vient d’arriver au Smic cette année, pour 60 heures par semaine ! » Huit ans après leurs débuts, Pierrot et Fred sont pourtant toujours aussi accrocs. « Rennes Musique venait de fermer. Personne n’y croyait. » Ils ont racheté les meubles de  Rennes Musique et monté leur boutique de vinyls exclusivement (2/3 neuf, 1/3 occasion). « A l’époque, on galérait pour avoir des neufs. Aujourd’hui, il y a tellement de trucs qui sortent… », souffle Pierrot. Rock, électro, roots…, Blind Spot se considère généraliste. « On travaille beaucoup le fonds de catalogue, alors que It’s Only est plus sur la nouveauté. Si on fait abstraction du support, ils travaillent plutôt le mainstream et nous le coup de cœur spécialisé. »  Des férus claquent des sommes incroyables pour des collectors. « 850€ pour un disque de folk gaëlique, ou 80€ pour un 45t de Depeche Mode. » Et lors du Disquaire Day, l’événement lancé en 2011 pour soutenir les indépendants, « c’est la seule fois de l’année où il y a la queue devant le magasin ! ».

 

Groove (2 rue Motte Fablet)

Le benjamin des disquaires rennais (25 ans) a ouvert son échoppe en mai 2014. Entre un kebab et un fripier, l’enseigne se remarque à peine. De chaque côté de ce long couloir, uniquement des bacs de vinyls 33 et 45 tours de « black music ». R’n’B, disco, soul, house de Chicago, techno de Detroit, funk des années 80… « Il y avait un créneau à prendre ici, explique  Philippe Fornaguera, parisien d’origine dont les grands-parents vivent à Rennes. Ces styles sont parfois dénigrés mais j’y crois, j’aime les partager. Bien que je sois conscient de connaître moins de choses que mes clients. » Le jeune homme a conclu des accords avec des distributeurs américains pour acheter des disques au kilo. Il y a parfois de la casse dans les piles qui jonchent son comptoir, mais il acquiert ainsi des pressages originaux à des prix imbattables. Comptez 1 ou 2€ pour des 45 tours !

 

It’s Only (3 rue Jean Jaurès)

Malgré un nom inspiré par un hit des Rolling Stones (« It’s only rock’n roll »), It’s Only ne se limite pas au rock. Jazz, classique, musiques du monde, chanson… constituent aussi les 10 000 références de cette boutique ouverte en août 2014 dans les anciens locaux d’Harmonia Mundi. Le CD représente 60% des ventes, le vinyle 40%. « On souhaitait un magasin de disques généraliste qui puisse s’adresser au plus grand nombre », raconte Jean-Michel Gourlay, l’un des trois associés. Lui a dirigé des labels de musique classique chez Universal ou Sony ; ses collègues Richard Dick et Jean-Noël Boulanger ont officié à Virgin Rennes. Une expérience indéniable qui ne présage pas pour autant d’une quelconque facilité. « Les conditions ont changé dans tous les métiers. Qu’est-ce qui est facile aujourd’hui ? A part piller des catalogues sur le Net ! On a fait croire aux gens que la musique était gratuite… Si le lieu existe et perdure, c’est qu’on a mis notre patte. Comme les autres disquaires avec des concepts différents. »

 

Les Enfants de Bohème (2 rue Maréchal Joffre)

Le dernier né (mars 2015) mais pas le plus novice. M. Ploquin était salarié d’Harmonia Mundi jusqu’à sa fermeture en 2013. « Ça nous est tombé sur la tête ; on ne s’y attendait pas du tout. » Après réflexion, il a décidé de replonger à une taille plus modeste sur le créneau chanson, jazz, classique, musiques du monde – majoritairement en CD. « C’est dur. On ne peut pas encore en vivre décemment, mais on tient le choc. Les gens n’ont plus l’habitude d’aller chez un disquaire. Il faut développer le bouche à oreille. » Une fois par mois, il organise donc un concert avec des artistes confirmés (Titi Robin, David Krakauer…) ou des groupes émergents.

 

Eric Prévert